LA PERVERSION ENTRE NÉVROSE ET PSYCHOSE (Colloque de la FEP à Madrid)



Hèlène Godefroy
De mon point de vue, la perversion n’est pas une structure. Ce n’est pas à une troisième possibilité d’agencement psychique, qui se distinguerait de la névrose ou de la psychose.
A partir du point nodal qu’est le complexe d’Œdipe (sachant que le complexe d’Œdipe est un invariant incontournable pour toute structure {-> la clinique n’arrête pas de nous le démontrer}), à partir de ce point nodal qui se présente toujours à un moment donné du développement psychique de l’enfant, => l’enfant pris dans la sphère maternelle, -> soit il parvient à saisir qu’il y a un père (un père garant d’une fonction -> garant évidemment selon son degré de consistance). Soit, l’enfant ne parvient pas à saisir qu’il y a un père (en tout cas une fonction paternelle opérationnelle).
Donc, soit le développement du sujet, dans son circuit, intercepte l’idée du Phallus comme objet de désir qui s’obtient de l’extérieur, et donc prend la voie de l’agencement névrotique. Soit la recherche de cet Autre (médiateur du désir), (supposé avoir l’objet phallique), reste indéfiniment forclose ; et, dans ce cas : ça glisse vers la psychose.
Dans le développement psychique de l’enfant, je ne pense pas qu’il y ait une structure psychique spécifique, qui soit « entre-les-deux » ; et qui se bâtirait sur la base d’une sorte de « forclusion locale », correspondant au déni de la castration ! Le déni de la castration : pour tout sujet (la fille comme le garçon) est toujours l’angoisse d’imaginer que la castration est réelle… . Or, ce déni de la castration concerne forcément toutes les structures. Elle n’est pas l’exclusivité d’une 3° structure, qui pourrait être à proprement dite : « La perversion ».
Si la perversion a effectivement avoir avec le déni de la castration, au sens où le sujet (sur certains terrains fantasmatiques) jouit de contourner la Loi du père, il me semble logique que toutes les structures (certes, avec différents gradians) possèdent forcément leur part de perversion. D’ailleurs, dans toutes les cures, grâce au transfert dont on est l’objet, on peut témoigner de ces moments pervers quelque soit la structure !

Par exemple, en séance, une femme (hystérique de structure) va mettre en scène, dans son transfert au psychanalyste, un rapport masochiste qu’elle a souvent l’habitude de reproduire (je pense à une patiente qui fait toujours en sorte de perturber ses heures de RDV, tellement elle attend de moi d’être disputée ! Comme cela ça lui permet de se plaindre, se plaindre d’un Autre qu’elle subit depuis toujours. …Sinon, de quoi pourrait-elle parler…).
Un sujet psychotique, qui n’aura pas décompensé, peut n’avoir aucun complexe à raconter des détails très crus de sa jouissance.
Ou un obsessionnel peut (par ex) déployer tout un pan de ses tendances homosexuelles.
------------------------------------
Donc, ma position (vis-à-vis de la perversion), c’est de l’envisager dans ce rapport qu’elle entretient en direct avec le déni de la castration. Chez l’adulte, toute motion pulsionnelle (c'est à dire toute pulsion partielle), qui n’est pas passée par le filtre de la castration symbolique (-> c'est à dire : dont on n’a pas lâcher quelque chose), cette pulsion ne s’est (évidemment) pas détachée de son objet infantile. Dans le présent du sujet, elle en maintient un plus de jouir. Un plus de jouir, datant de l’époque perverse polymorphe de l’enfant.
A mon avis, les moments de perversion, repérables chez l’adulte, viennent delà. Ce sont en fait des points de structure (plus ou moins épais) ! Il ne s’agit pas d’Une Structure en soi !
Je m’explique :
1) D’abord, c’est la pulsion en elle-même qui a un caractère Pervers ! Pourquoi ? Parce que la pulsion est en elle-même immorale ! Pourquoi est-elle immorale ? Parce qu’elle est Sans loi ! Son excitation pousse toujours en continu, et donc n’a qu’un seul but : libérer tout ce qu’elle contient de jouissance. Donc, à l’origine, elle ne trouve à se satisfaire que sur un mode de perversion. C'est à dire que la pulsion ne vise qu’un objectif : se décharger de cet excès qui la met en tension (un excès qui peut avoir un seuil très élevé !). A savoir que si son éprouvé est d’abord un plaisir, sa mise en excès la convertit en déplaisir. Donc son seul but : est sa satisfaction immédiate, c'est à dire sans contrainte, elle fera tout pour contourner les obstacles ; elle est sans Loi.
L’objet rencontré n’est que l’agent déclencheur qui se prête à cette satisfaction, en venant coïncider avec le type de motion pulsionnelle en état d’excitation.

2) La pulsion infantile est (en soi) perverse, parce que sans loi -> et, en plus, sa satisfaction est polymorphe.
Or, c’est parmi cette polymorphie (des jouissances infantiles) que le choix de la perversion va se faire à l’âge adulte. Comment ?
D’abord, comme la pulsion est (intrinsèquement) sans Loi, comme elle pousse en continu, elle enclenche le développement structural (psycho-sexuel) de l’enfant et le déroule.
On sait qu’à chaque stade, -> se présente un nouvel objet partiel -> donc une nouvelle forme de satisfaction, -> et donc que c’est tout ça qui configure la perversion polymorphe. Au fur et à mesure que la sexualité de l’enfant se développe, les différents points de jouissance s’emboitent les uns aux autres. Points de jouissance, qui diffèrent selon la forme de leur satisfaction.
Et, parmi eux, certains vont prédisposer la structure de l’enfant à une satisfaction perverse possible pour plus tard.

3) Dans quel cas cela la prédispose ? Cela la prédispose lorsqu’il y a excès de jouissance.
C’est quoi l’« excès » de jouissance ?
- C’est d’abord, quand il y a eu débordement d’excitation à un moment donné de l’enfance. Quelque chose qui déborde tellement que ça fait traumatisme (une mère qui phallicise un peu trop son rapport à son enfant (elle lui montre trop son désir), ou alors, quand il y a des traumatismes sexuels (par ex entre copains ou jouer un peu trop « au docteur »), ça peut être aussi un fantasme vécu en excès comme « l’enfant battu »….) 
- Et donc, comme cette jouissance est maintenue dans son excès -> elle n’est pas suffisamment ou efficacement refoulée ((par ex) quand un père qui laisse un peu trop faire la mère ; ou qui fait lui-même comme la mère. Par ex : qui est dans un rapport un peu homosexuel avec son fils… il y a trop de séduction donc le fils n’arrive pas à refouler ses pulsions homosexuelles).

4) Et finalement, tout ce qui va faire perversion à l’âge adulte, se programme dans le degré de consistance de la Loi du père. Cet excès d’excitation (dans le montage de la structure), qui en plus ne rencontre pas une loi paternelle consistante, c’est ça qui conduit au déni de la castration…. Et donc forme un point de structure pervers chez l’adulte.
Cet excès (ce quantum de jouissance) reste fixé psychiquement ! L’enfant qui n’a pas réprimé certaines de ses pulsions partielles, reste plus tard attaché à ses objets (objets qui restent saillants à fleur de refoulement). Son refoulement étant très poreux, une fois adulte, il continue à jouir (presque en direct) de l’objet partiel (en s’appropriant un objet de substitut).
Donc quelque soit la structure, la perversion adulte, c’est une transgression qui maintient une connexion directe avec la sexualité perverse polymorphe infantile. Les fixations pulsionnelles réapparaissent sous la même forme de satisfaction que le versant infantile.

Or, justement, ce retour du refoulé (ces fixations), n’est-ce pas le propre de la névrose elle-même ? N’est-ce pas un éprouvé ancien reconvoqué, auquel le sujet névrosé n’a jamais totalement renoncé ? N’est-ce pas un déni partiel de la castration symbolique, qui justement structure le sujet comme névrosé ?
La névrose déploie son versant pervers par la voie transgressive de ses fantasmes et de ses symptômes (comme l’inhibition, le masochisme, la manipulation,…). Les symptômes névrotiques sont toujours « un plus de jouir  », datant de l’âge infantile, contournant la Loi paternelle. « Les symptômes se forment bien en partie aux dépens d’une sexualité anormales, (écrit Freud) ; d’où la névrose est (..) le négatif de la perversion »[1].
Le fantasme masochiste de l’enfant battu, on le retrouve dans la plainte continue du névrosé, il se sent préjudicié, humilié, il subit. Cela peut convoquer, chez une femme, sa jouissance éprouvée enfant, lorsque le père la traumatisait de sa séduction.
Par Ex : si on prend l’oralité -> on va retrouver la trace de la perversion (infantile) dans un discours de mauvaise foi, qui sera perfide, machiavélique, menteur, manipulateur…. -> Aujourd’hui, on entend souvent : « j’ai affaire à un Pervers-Narcissique » ! En fait, les manipulateurs peuvent être aussi bien de structure psychotique, que de structure névrotique. Ce ne sont pas des purs Pervers ! Ils fonctionnent seulement sur un mode de jouissance (qui est aussi un mode de défense contre la dépression). Ils s’accrochent à la version infantile de la pulsion, en lui faisant contourner la castration, en la déniant. Le manipulateur -> c’est vraiment la métaphore-même de la manipulation de la Loi (la loi juridique, la loi psychique, donc symbolique -> celle du Père -> celle de celui qui a le Phallus).
Chez le psychotique, la perversion se met directement en acte sur la scène de la vie. Il n’y a pas la barrière du fantasme (comme chez le névrosé). C’est à peine érotisé. Ça peut être très sadique, très cruel comme perversion. Et souvent les actes pervers (beaucoup plus lourd que dans la névrose) sont ici des moyens de défense contre la décompensation psychotique. Tant que le sujet psychotique a le pouvoir, à emprise sur l’autre, qu’il peut sadiser l’autre, il ne s’effondre pas. S’il perd son pouvoir sur l’autre, dans ce cas il délire… aussi, les cas de perversion avérée, comme on ne les rencontre pas sur nos divans, relèveraient de fait plutôt d’une défense contre l’effondrement paranoïaque.





























[1] Freud, Trois essais sur la théorie de la sexualité, Gallimard, 1998, p. 80

No hay comentarios: