Roland
Chemama
La formule « traversée du fantasme »
rend-elle compte de ce qu’est la fin d’une psychanalyse ? Disons déjà qu’assez
souvent les analystes se sont interrogés sur le sens qu’on pouvait donner à
cette formule, cela d’autant plus que l’on ne sait pas si elle a une valeur
métaphorique, descriptive, voire topologique. Ainsi si l’on figurait le
fantasme avec le poinçon qui en constitue la partie centrale dans l’écriture S poinçon de a, traverser le fantasme ce serait soit passer au travers du
poinçon comme on passerait à travers une fenêtre, soit suivre les traits qui le
constituent, comme s’ils constituaient un chemin. Mais je ne saurais donner à
ces deux options qu’une valeur métaphorique, et je ne crois pas qu’une de ces interprétations
formelles apporte grand chose pour comprendre la fin de l’analyse.
Est-ce que l’expression « traversée du
fantasme » constitue alors, à mon avis, une de ces formules toutes faites,
une des locutions figées dont l’emploi empêche plutôt de penser ? Je ne
dirai pas cela. Il me semble que cette formule a au moins le mérite de rappeler
quelques exigences concernant la pratique de la psychanalyse. C’est peut-être
d’ailleurs aussi de ça qu’il s’agit concernant la passe. Celle ci est-elle,
comme Lacan a pu le dire, un échec ? Même si c’est le cas, elle a eu le
mérite de rappeler qu’on ne saurait diriger une cure si on ne tentait pas
d’avoir une idée de ce qui constituerait la fin de la cure.
Que viendrait donc rappeler à notre attention
l’expression « traversée du fantasme » ? Je dirais volontiers
qu’elle nous oblige à ne pas en rester à une reconnaissance, dans la cure, du
fantasme fondamental de chacun. Cette reconnaissance, en effet, risque encore
de se figer dans un savoir fétichisé, qui enfermerait le sujet dans un
« c’est ça », avec le risque supplémentaire de le rapprocher d’une
position perverse au sens où c’est le pervers qui est assuré d’un savoir sur la
jouissance. Parler d’une traversée du fantasme, ça peut être utile si ça nous
amène à penser qu’il vaut mieux ne pas en rester là. Et ce « ne pas en
rester là », il me semble que nous pouvons l’articuler autour de la
formule S poinçon de a, comme ce qui nous ferait aller d’un
terme à l’autre de la formule. Bien sûr les analystes ont longtemps privilégié une
de ces directions. Elle consiste, là où le sujet fait état de sa subjectivité,
à le renvoyer, quand cela est pertinent, à la position d’objet qu’il peut
prendre dans le fantasme. L’exemple le plus quotidien est à cet égard le
meilleur. Je pense à un de mes analysants, un homme assez jeune qui est invité
à une performance d’un de ses amis dont il apprécie généralement le travail.
Cette fois-là cependant la performance ne le convainc pas. Il pense néanmoins
devoir s’interdire de le lui dire. Il ne va tout de même pas
« l’emmerder » ! Néanmoins quand il le croise il ne peut
s’empêcher de lui faire, sur un ton désagréable, des critiques marquées.
Qu’est-ce qui pourrait bien expliquer, se demande-t-il à sa séance, le
lendemain, que je me sois comporté de cette façon ? Il n’est pas sans
intérêt de lui faire entendre que plutôt que de « lui », il
s’agissait en l’occurrence de tout autre chose. De ce qu’il devenait comme objet pour l’autre : un objet que
généralement on rejette, un déchet à quoi – le contexte permet de s’en assurer
– il en venait à s’identifier.
Avant de parler de ce cas, cependant, j’ai parlé du
risque d’un savoir fétichisé sur sa propre jouissance. Celui-ci est encore plus
présent peut-être aujourd’hui où chacun, peu ou prou, se targue de ne pas être
dupe des règles communes, et de s’assurer d’un chemin qu’il pense plus conforme
à son propre désir. Dans des cas de ce genre l’analyse peut-elle se borner à
parcourir à nouveau ce que le sujet a parfois parcouru lui-même à plusieurs
reprises ?
J’ai eu l’occasion, il y a quelques années, d’évoquer
un autre analysant, un homme qui après s’être plaint de ses rapports difficiles
avec les femmes, en était venu, assez vite, à faire état de fantasmes
conscients, de rêveries nombreuses qui le mettaient dans une position d’objet
maltraité par une femme dominatrice. Il essaya d’ailleurs, sans résultat très
probant de « réaliser » comme on dit, ces fantasmes. Ajoutons qu’il savait en démonter les divers
éléments, et retrouver les formes qu’ils avaient pu prendre dans l’enfance.
Bref on ne pouvait s’attendre à ce qu’une analyse du type de celles que Freud
développe dans « un enfant est battu » ait le moindre effet, parce
que, dans ce champ dont il faisait le relevé, rien apparemment ne pouvait le
surprendre. Il en était même au point de commencer à s’enchanter de ses
rêveries, d’une efflorescence imaginaire qu’il était difficile de contenir.