Christian Hoffmann
Dans
son discoursà l’Académie suédoise,Patrick Modiano[1] a dit quelques
vérités qui nous intéressent.
Même
si l’écrivain appartient à son temps, un temps qui s’accélère dans notre monde
contemporain, il a beau être lié à son époque et ne pas y échapper parce que
c’est le seul air qu’il respire, ce qu’on appelle « l’air du temps »,
il écrit néanmoins toujours quelque chose d’intemporel. Ce qui se traduit par
le fait qu’on comprend souvent mieux une œuvre après la mort de son auteur. Je
pense à Joyce par exemple.
Mais
alors quel est le travail de l’écrivain par rapport à son époque ? Se
tenir à une distance exacte de la vie de son époque, d’où il peut plonger en
elle en et la pénétrer en profondeur pour nous révéler la réalité même de cette
époque, à travers sa fiction. Hugo vonHoffmansthal assignait la tâche à
l’écrivain de trouver la métaphore de son époque.
Pour
ce qui nous intéresse aujourd’hui tout particulièrement autour du fantasme et
de sa traversée, il me suffira de relater ce que dit Patrick Modiano de la fin
de son acte d’écriture d’un roman.
Au
moment de cette fin d’écriture, « le livre vous témoigne une certaine
hostilité dans sa hâte de se libérer de vous ». L’écrivain éprouve à cet
instant « un grand vide » et se sent « abandonné ». Il
ressent une « insatisfaction » et le sentiment de quelque chose
« d’inaccompli ». Ce sont ces sentiments d’insatisfaction et
d’inaccomplissement de l’œuvre produite qui poussent l’écrivain à écrire le
livre suivant et ceci pour essayer de « rétablir l’équilibre, sans y
parvenir ».
A
travers cette répétition du geste d’écriture de l’auteur, le lecteur peut
parler de l’œuvre, mais l’écrivain garde le sentiment d’une fuite en avant et
que, oui, le lecteur en sait plus que l’auteur lui-même sur son livre.
Nous
entendons ainsi le témoignage de ce qu’est la fin de l’écriture d’une fiction à
travers le fantasme d’abondant qu’elle produit chez son auteur, une fin où le
livre se détache comme une partie du corps propre, en produisant un vide, qui s’accompagne de
l’insatisfaction et de l’inaccomplissement, c’est ce vide qui relancent le
désir d’écrire. Ce désir de l’écrivain qui surgit de ce vide qui fait l’objet
qui le cause. L’autre, le lecteur, divise son auteur par la supposition d’en
savoir plus que lui sur sa fiction.
On
comprend ainsi que la sublimation consiste à élever l’objet-roman à la dignité
de la Chose, qui est le nom que Lacan, après Freud, donne à ce vide, que la
pulsion rencontre dans son effort de re-trouver un objet foncièrement perdu. La
révolution freudienne se tient historiquement et jusqu’à maintenant dans la
découverte de la pulsion qui est l’écho de la parole dans le corps, sans
qu’aucun objet n’est à même de venir la satisfaire pleinement. Ce trou dans le
bonheur humain contribue au malaise dans notre culture, ce que Lacan nomme le
« non-rapport sexuel » qui fait défaut à la jouissance de l’Un et qui
relance le désir.
En
somme, toute expérience subjective qui se signifie par la perte d’une partie du
corps propre est une traversée du fantasme, qui soutient l’illusion narcissique
du désir de l’être parlant.
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