INTERVENCION EN EL CONGRESO DE LA FEP EN ROMA 2014 (Texto en francés)



Soutenir la spécificité de la psychanalyse : Paradoxes et enjeux 
Par Arlette Pellé
Les modalités particulières d’acquisition du savoir inconscient qui en passe  par une expérience, celle de la cure analytique et non pas prioritairement par un enseignement est au centre des débats concernant la spécificité de la psychanalyse et la formation des psychanalystes. L’analyse personnelle de la même façon qu’à l’époque de Freud reste le noyau vif de la formation des psychanalystes n’étant pas évaluable, au sens scientifique strict du terme, cette question se renouvelle régulièrement et rencontre aujourd’hui celle de la scientificité de la psychanalyse au regard des psychothérapies.   
Freud déjà avait problématisé l’enjeu de cette formation spécifique, il y répondit en permutant l’ordre traditionnel des formations diplomantes qui valident l’accès à un grade ou à une profession.      

Pour la loi, dit Freud[1] « est un charlatan quiconque soigne des malades sans pouvoir produire un diplôme médical d’Etat… ».  Il précise plus loin « les médecins fournissent à l’analyse un contingent considérable de charlatans. ….Personne ne devrait exercer l’analyse qu’il n’y soit justifié de par une formation appropriée Et qu’il s’agisse d’un médecin ou non, cela me semble secondaire ». L’exemple de la psychanalyse en Italie récupérée par l’ordre des médecins ou des psychologues montre que lorsqu’on cède sur ce principe, la psychanalyse est en voie de disparition. Freud procède donc à un retournement du statut légal de la validation des connaissances, le diplôme seul fournirait à la psychanalyse un contingent de charlatans, et positionne la formation des psychanalystes dans un registre « hors la loi ». 
Où en est-on aujourd’hui ?
En France, ni les associations ni l’Etat ne réglementent cette « formation appropriée » dont parle Freud et  la preuve au sens scientifique qu’il y a bien eu formation, la preuve qui autorise chaque analyste à fonctionner comme analyste, reste imprécise  et en partie intransmissible (l’expérience de la passe qui « est un échec » le souligne). On parle alors du désir du psychanalyste, qui paraît sacré et au dessus de tout soupçon, qui donne à chacun l’opacité d’en savoir long sur le désir de l’Autre et le sien, mais qui n’éclaire pas le début d’une preuve. Qui dit que moi ou mon collègue nous avons mené une analyse personnelle qui ferait de nous un psychanalyste et non un charlatan ! Chacun sait qu’il ne suffit pas de passer des années sur un divan, pour que le dénouement ou la fin d’une analyse advienne, ou pour que le passage du psychanalysant au psychanalyste soit formellement transmissible.   L’analyste de sa place d’analyste ne s’autorise que de lui-même, il n’y a pas de garantie et pas de garantie de la garantie.
De ce fait, un premier paradoxe se présente : aucune règle  ne garantit que ceux qui se soumettent à une analyse personnelle  sont psychanalystes et aucune règle n’indique que ceux qui ne s’y soumettraient pas ne pourrait pas exercer la psychanalyse. Cet enjeu de taille au regard de la société soulève une question : comment l’exercice d’une pratique libre de toute réglementation pourrait-elle apparaître légitime dans un moment où le transfert de la société à la psychanalyse n’est plus immédiat, où cette pratique ne résonne pas avec le discours dominant ?   Dans une société où l’Etat démocratique capitaliste s'appuie sur le discours de la science et la techno-science pour gouverner les peuples, et depuis quelque temps sur les neurosciences, en particulier sur les thérapies comportementales et cognitives pour réguler la santé mentale, il est demandé que la psychanalyse soit évaluable  au même titre que les psychothérapies, alors que sa méthode ne l’est pas, comme le résume G.Pommier «  elle ne saurait se plier à des critères d’objectivité qui sont en réalité ceux de l’objectivation du sujet. »[2]. De ce fait  les pouvoirs publics et certains médias stigmatisent la psychanalyse, « elle n’est pas scientifique, les psychanalystes n’ont aucun statut reconnu, ils sont des charlatans ».
 En France le statut du psychanalyste n’est pas réglementé à l’inverse des  professions de la santé mentale, par exemple le titre de psychologue est reconnu par l'Etat depuis 1985 et celui de psychothérapeute depuis 2010-2012. L’absence de  statut reconnu officiellement octroie à la psychanalyse, une place à part, une place d’exception qui est justement ce que la société post moderne récuse.
Soutenir la spécificité de la psychanalyse en maintenant cette place à part, la prémunit à la fois d’être assimilée à la médecine, à la psychologie, et aux multiples thérapies et donc de disparaître,  mais d’autre part cette marginalité, l’absence de statut, ne pourrait-elle  également, par une logique à l’envers, entraîner son noyautage par les psychothérapies ? Je m’explique.
Au Congrès de Nuremberg en 1910 Ferenczi déclarait « Le danger qui nous guette, c’est que nous devenions à la mode et que le nombre de ceux qui se disent analystes sans l’être croisse rapidement». Le premier danger est aujourd’hui  largement évité, la psychanalyse se trouve sans connexion avec les modèles de la société capitalo-scientifique, pour l’essentiel sans nouage lisible avec le discours dominant, en même temps que le deuxième danger s’accélère, «  ceux qui se disent psychanalystes sans l’être » selon l’expression de Ferenczi, ce danger est actuellement augmenté par la confusion psychanalyse-psychothérapie. 
Les psychothérapeutes qui par exemple ne répondraient pas aux critères demandés par leurs associations et par le cadre juridique établi, pourraient se dire psychanalystes, et « ne s'autoriser que d'eux-mêmes », en détournant le sens de cet énoncé. On préférerait le processus inverse (que les psychanalystes qui ne répondraient pas aux critères de formation des associations analytiques deviennent par exemple psychothérapeutes). L’emploi sans réserve du titre de psychanalyste que l’on peut voir placardé par exemple au bas de certains immeubles, - thérapeute, conseil conjugal, psychanalyste- ou psychanalyste, sophrologue, thérapies brèves- ou sur linkenind –coach, thérapeute, psychanalyste-, procédé en expansion rapide, il ne s’agit pas de cas isolés, découle de l’absence d’un statut garanti par l’Etat, crée une confusion entre psychothérapie et psychanalyse ce qu’on cherche justement à éviter. 
Aujourd’hui ce n’est pas seulement le danger de la médicalisation de la psychanalyse qui la guette mais aussi celui des psychothérapeutes affiliées ou non à leur propre association qui ayant  libre accès au titre de psychanalyste le prennent  librement. Et pour cela aucune obligation d’en passer par les écoles analytiques, ni d’entreprendre une cure personnelle. Le fameux « s’autoriser de soi-même » fonctionne alors comme une loi, qui autorise la psychanalyse à se faire psychothérapie ; sans compter les psychanalystes qui eux-mêmes pourrait se mettre au goût du jour, en psychothérapeutant la psychanalyse.
De mon point de vue, et c’est le deuxième paradoxe, en l’état actuel, le sans statut  de la psychanalyse autant qu’un statut reconnu par l’Etat, noie à terme la psychanalyse dans les psychothérapies.
En effet, le risque de la confusion psychanalyse-psychothérapie ne vient pas seulement sur le bord d’un statut de la psychanalyse garanti par l’Etat, qui « au mieux lui vaudrait l’appellation « psychothérapie d’orientation analytique, comme on l’a lu lors des derniers débats sur cette question à Bruxelles, mais également sur le bord de l’absence de statut qui lui vaut déjà l’appellation non contrôlée de « psychanalyse d’orientation thérapeutique ».  Ni l’un, ni l’autre ne préservent la spécificité de la psychanalyse. Pourrait-on sortir d’une logique   binaire qui oppose avec ou sans statut ?
On peut soutenir que le sans garantie de la fonction est conforme au savoir inconscient et au désir de l’analyste, on peut se détourner de ce que renvoie la société, en justifiant que depuis sa naissance elle a su garder sa spécificité et nourrir d’autres champs de savoir. On peut interpréter cette absence de garantie par la formule « s’autoriser de soi-même » qui n’impose rien à personne et en particulier qui souligne qu’aucune autorité impose le savoir inconscient, on peut soutenir que le sans statut officiel aussi bien que l’absence de généralisation des critères de la formation des psychanalystes dans les associations accroissent la mise au travail permanent du désir de savoir, on peut aussi affirmer que la résistance des pouvoirs publics à la psychanalyse est un signe de bonne santé et s’arranger « entre nous », entre nous psychanalystes. Entre nous, et que personne ne s’en mêle, ni l’Etat, ni les pouvoirs publics, ni l’opinion.
Mais s’il arrive que cette question de la formation revienne du dehors alors l’arrangement dynamique de l’entre nous, peut se transformer en dérangement, les contradictions, paradoxes, flous, apparaissent dans leur entière complexité. C’est ainsi que lors d’une soirée conviviale, en compagnie d’invités  non psychanalystes cette question m’est revenu sous la forme :   Comment tenir au dehors un discours cohérent sur la formation du psychanalyste ?
Un des invités, mathématicien, sans doute un peu provocateur m’interpelle « on dit qu’aucun diplôme n’est nécessaire pour devenir psychanalyste, seule une cure personnelle suffit ? J’ai lu l’œuvre de Freud, ça m’a beaucoup intéressé je vais très bien, je commence une analyse et demain je deviens psychanalyste, c’est comme ça ? ». Je lui réponds spontanément que la majorité des psychanalystes sont issus de la formation initiale de psychologie ou de psychiatrie, et que les autres ont le plus souvent un diplôme universitaire.
Ah bon me répond-il alors il faut faire des études de psycho ou de médecine pour devenir psychanalyste ! Non lui répondis-je, mais certainement que les personnes qui s’orientent dans ces études, en attendent une réponse ou des éclaircissements sur des questions personnelles…ce qui les mène à l’analyse.
Après-coup je me suis demandée pourquoi j’avais généralisé une formation initiale universitaire, qui risquait d’introduire une confusion.   
Dans le contexte actuel de méfiance qui grandit à l’égard de la psychanalyse et des psychanalystes, face à l’extérieur, j’avais voulu affirmer que les psychanalystes ne sont pas des hors la loi, qui ne soumettraient à aucune épreuve nécessaire aux autres. Les diplômes sont socialement reconnus et il m’avait semblé, ce jour là que commencer par me saisir d’un appui symbolique commun avait au moins eu l’avantage de pouvoir poursuivre la discussion.
Une autre interlocutrice neurobiologiste, me dit, vous affirmez qu’une cure personnelle  est le noyau de la formation du psychanalyste « mais alors il faut avoir un symptôme pour devenir psychanalyste, vous comprenez ça ce n’est pas vendeur », interloquée je lui demande des précisions, « ce n’est pas scientifique, car cela implique que le symptôme du psychanalyste cause son désir de devenir psychanalyste ». Elle ne croyait pas si bien dire !
Imaginez qu’un cardiologue, me dit-elle, doive faire un infarctus pour devenir cardiologue, un cancérologue un cancer…et que sa formation soit en rapport avec sa maladie, autrement dit sans avoir éprouvé lui-même ce qu’est la maladie, pas de médecin ?
Il est inutile à un cardiologue pour exercer sa profession de connaître la cause du désir qui le soutient, pourtant choisir de réparer le cœur pourrait être en relation avec un désir refoulé, je lui parle alors du rêve de cet analysant dans lequel il voit en pleine mer, sur un radeau un copain et son jeune frère enfant. Le copain pousse à l’eau le petit, l’analysant le rattrape, le ramène à la rive, le ramène à la vie,  il le sauve dans le rêve, il associe sur un souvenir d’enfance d’avoir voulu noyer son jeune frère dans une baignoire,   évoque la panique de sa mère, du Samu qui arrive…sa culpabilité, son désir de sauver les vies, ancré sur ce désir de meurtre l’avait mené à sa spécialité. J’avais tenté de faire entendre  le paradoxe du désir en m’inspirant de Groddeck.
C’est bien sur la base d’un désir inconscient refoulé que se manifeste autant le désir d’analyste que celui d’une profession médicale, mais avec la particularité pour celui de l’analyste d’en savoir quelque chose et d’être référé à une éthique, celle de la responsabilité comme le développe R.Chemama[3] , une responsabilité à double détente. Le tournant d’une cure analytique fait passer du symptôme que l’on subit au fantasme qui dévoile une part active, une place dont le sujet est responsable.  Non seulement l’analyste est responsable de son acte mais son désir pousse à ce que l’analysant entende sa propre responsabilité dans le fantasme qu’il construit, dans la jouissance qu’il éprouve, dans les répétitions qu’il dénonce.  La formation du psychanalyste relève de mon point de vue en grande partie de ce travail.
Conclusion
A l’heure de la biologisation de l’humain et du capitalisme financier, de la raison scientifique tout azimut, de l’évaluation et de l’objectivité, la psychanalyse  est en déphasage avec le discours dominant, et subit des attaques virulentes des pouvoirs publics entre autres, elle tend à être supprimée des universités et dramatiquement des établissements de soins. Son statut « hors la loi », sa place à part, que Freud a soutenu à son époque pourrait la couper aujourd’hui complètement de l’époque dans laquelle elle s’inscrit, la rejeter et la marginaliser à la frontière des sectes ou des guérisseurs.
De la même façon que la théorie analytique ne peut se concevoir comme un savoir clos et immuable, et rester à l’écart des mutations de la société, de mon point de vue, la formation des psychanalystes ne peut pas rester dans un no man’s land. On n’a jamais vu dans l’histoire un champ de savoir, que ce soit les écoles philosophiques grecques au moment de l’expansion du christianisme dans l’Empire Romain ou les écoles scolastiques au moment de la naissance de la science classique survivre  à des mutations majeures de la société, elles disparurent  pour avoir rejeté le nouveau discours et pour s’être installées dans la marginalité assurées de la seule vérité de leur propre savoir.   
Il ne s’agit pas de pactiser avec le diable, mais de dialoguer avec les sciences de notre temps, comme Freud et Lacan nous ont montré le chemin. Il ne s’agit pas de réclamer un statut pour la psychanalyse qui rejoindrait celui des psychothérapies mais de nouer la formation des psychanalystes à un point d’accroche symbolique partagé avec l’époque dans laquelle la psychanalyse s’inscrit.

























[1] 1928, dans ma vie et la psychanalyse P.157-162 Psychanalyse et médecine, la question de l’analyse profane
[2] G.Pommier P.393 Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse
[3] La psychanalyse comme éthique

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