INTERVENCIÓN JORNADAS DE LA FEP EN TOLEDO (Junio de 2013)

L'HOMME QUI AIMAIT LES FEMMES
Hèléne Godefroy
Psicoanalista en París

« Toutes les passions sont aliénations du désir de l’objet » (disait Lacan, 1958). En 60, il disait même : « le désir est une passion inutile… parce que ce que nous désirons, ce n’est pas Ce qu’on à l’air de désirer » . Je pense que la passion c’est un cran au-dessus (dans la dynamique du désir), parce qu’elle croit avoir enfin trouvé son objet…! Et j’ajouterais que « Toutes les passions sont équivalentes, (parce qu’elles sont toutes objets) métonymiques » .
Alors, c’est quoi au juste la passion ? J’ai l’impression que sa visée est toujours un malentendu ; car, ça m’a tout l’air d’être un amour pour un objet plein d’équivoque ; et parce qu’il est équivoque, fait flamber le désir… Un désir pris dans le jeu du fantasme qui n’en finit pas de se dérouler… pour jouir toujours plus. Mais jouir de plus de quoi, au juste ?
Je vais essayer de démontrer quelque chose de la passion, en m’intéressant au film de Truffaut, L’homme qui aimait les femmes (incarné par Charles Denner) ; film auquel je vais articuler quelques bribes du discours d’un analysant, dont l’objectif de son désir c’est la femme : la femme qui, tout d’un coup, accroche son attention ; et, du coup, est aussitôt à séduire et à conquérir.

Pour essayer de comprendre ce qui anime Charles Denner et cet homme, et met en mouvement leur passion pour la femme, je vais partir de « la perruche de Picasso ». C’est l’histoire d’une perruche très amoureuse de Picasso. Or, Lacan démontre que ce dont la perruche est amoureuse, c’est, en fait, de son habit (l’habit de Picasso) ! C’est toute l’économie psychique de l’amour qui est contenue dans cette petite histoire. L’habit voile quoi ? Il voile ce dont la perruche est amoureuse : c'est à dire l’ « objet »-même qui cristallise toutes les passions : -> qui est le « corps » attractif de l’autre, corps dont on veut jouir à l’infini. Mais, voilà, cette jouissance visée par l’amour de la perruche n’est qu’un leurre, un mythe. Car, « Jouir du corps (de l’autre) quand il n’y a plus d’habits laisse intacte (dit Lacan) la question de ce qui fait le Un » . Ce corps de l’autre (de la rencontre) n’est que substitution ; il est seulement « aperçu » à la place du corps de l’Autre (ce corps de l’inceste, par lequel la jouissance fusionnelle aurait fait Un, (et encore, cette jouissance du Un, je ne suis pas si sûre que c’est vraiment eu lieu, ne serait-ce qu’une seule fois !) ). En tout cas, cette illusion de la retrouvaille du Un, la retrouvaille du rapport incestueux (endogame), c’est ce qui déclenche l’état amoureux. Ou, plus exactement, ce qui déclenche l’état amoureux c’est une dynamique : le désir d’être Un. Mais forcément, la réalisation de ce désir se cogne à son impossibilité. Parce que « Ce désir ne nous conduit qu’à la visée de la faille » ! Du coup, ce qui est recherché (la fusion du Un), « ne tient que d’être un signifiant » . C’est un signifiant, un Mot : « On ne fait plus qu’Un ! » aiment à croire les amoureux qui se découvrent et vivent leur premiers moments avec passion. Ils sont passionnés par leur rencontre parce qu’ils sont persuadés d’avoir enfin trouvé celui qui va faire rééprouver la « Chose » pulsionnelle d’origine. Et pourtant, cette jouissance du Un (recherchée), si, certes, elle est bien une jouissance, elle l’est comme « instance négative » (c’est là, comme une sensation sur le point d’être éprouvée, mais c’est impossible à rééprouver : on a bien le mot (« On ne fait plus qu’Un »), mais la jouissance qui lui correspond est retranchée, découpée, limitée. Ca ne répond pas comme ça voudrait, ça ne colle pas complètement ; quelque chose manque. D’où, la demande d’amour ! La demande d’amour part de cette faille ; le sentiment amoureux c’est un sentiment qui correspond à cet espace laissé par cette faille et qui s’y superpose ; et donc se voit imposée d’être toujours impuissant. Le moment passionnel du début, c’est un moment illusoire qui s’initie avec l’idée de l’objet retrouvé devant permettre de récupérer la toute jouissance infantile perdue. Sauf que, à un moment donné ça persiste à cette toute puissance inatteignable.



Et donc, l’amour c’est quoi ? Dans le film : Charles Denner dit « Je vous aimais sans le savoir ; et quand je l’ai su, c’est quand vous êtes sorties de ma vie » ; il est donc tombé amoureux dans l’après-coup de la relation ! L’amour, est-ce lorsque, l’un l’autre réussissent à combler respectivement leur vide ? Et donc, est-ce la sécurité affective, au sens où on entend dire : « l’autre c’est ma moitié » ; comme si la personne était collée dans sa chair… Et moi je me demande : quand on est dans ce pur attachement, ne serait-on pas plutôt du côté du réel ? « On partage tout ; on ne peut rien faire l’un sans l’autre », et finalement il n’y a plus rien à désirer ; on éprouve rien ? C’est peut-être le Un retrouvé ; mais c’est aussi, d’une certaine façon, l’échec du refoulement ! Et donc, je me demande si l’amour ne serait-il pas plutôt, lui, un pas vers la symbolisation ? Vers la symbolisation, quand la castration (c'est à dire le père) est passée par-là et que l’état amoureux n’est possible qu’à condition d’une fusion impossible à atteindre ? On ne serait amoureux que quand ça manque ! Et c’est bien là le drame des amoureux : l’amour ignore « qu’il est ce désir d’être Un » . Donc, qu’il n’a d’existence que d’être une faille. Il ignore qu’il est le désir de s’identifier à la Chose, c'est à dire de s’identifier à l’introuvable (l’objet introuvable).

Or, la passion (qui correspond bien à un état amoureux, quelqu’en soit son objet) veut ignorer l’introuvable. Après avoir rencontré une femme depuis une semaine, mon patient va dire, complètement dans l’émotion : « Je suis sûr que c’est elle ! La femme de ma vie c’est elle ; je le sens ! » Justement, s’il le sent, c’est qu’il n’en est peut-être pas si sûr que cela : il n’a peut-être pas encore été jusqu’au bout de son éprouvé. Mais il croit qu’il a rencontré celle qui lui fera atteindre la toute jouissance. De cette ignorance de l’amour (d’être en soi forcément une faille), à force de chercher en l’autre (inconnu) cette sensation primaire, l’attente du sujet amoureux (de faire Un avec Elle) peut se mettre à flamber. Toute la nature équivoque de l’objet (de la passion) se trouve dans ce mécanisme : le quantum d’affect du sujet se cristallise tout entier sur la belle inconnue -> inconnue de son champ incestueux et en même temps, objet incestueux auquel il croit qu’elle va correspondre. Du coup, il évacue toute attente ; et cherche le collage immédiat avec « le corps de l’Autre ». La passion déborde la réalité de la rencontre. Elle est pour lui zéro défaut. Donc il lui donne tout, prêt à se sacrifier tout entier (lui-même comme objet) pour retrouver la fusion. Du coup, face à l’état amoureux qui pourrait être un pas vers la symbolisation, la passion se fait ici sacrément régression.

Alors, pourquoi le choix de cette personne-là ? Si le désir s’intéresse à cette personne rencontrée (et non à une autre) (ce n’est jamais dû au hasard) c’est parce qu’il y a quelque chose qui fait « lien » entre l’endogame et l’exogame ; un lien qui ne peut être que métonymique. C’est, chez cette personne, un petit quelque chose de perceptible, à peine détectable (ce peut-être visuel, auditif, une odeur, une couleur, un nom, une babiole…). En tout cas, une perception (imagée) qui tamponne une image-souvenir libidinalisée (qui peut être une construction de souvenir). Et donc, ce souvenir oublié (cette perception-sensation, cet Einfall) happé (comme aimanté par l’événement actuel de la rencontre qui lui fait échos) fait retour presque à la surface de la conscience (Pct) transporté par la pulsion qui lui restait fixée. Sauf que, dans l’après-coup c’est réactivé du côté du désir (très important -> c’est delà que vient l’équivoque de l’objet). Cette perception-sensation ancienne (une fois remontée à la surface) est directement attribuée à l’autre de la rencontre, c’est ce qui l’habille et caractérise le choix. Ce lien, cette perception-sensation est perceptible sans l’être vraiment : parce que la rencontre (entre les deux images) se situe au niveau du préconscient, juste au niveau de la barre du refoulement entre le pulsionnel (qui vise toujours l’infantile, l’objet parental) et le désir (qui a perdu son objet infantile, et donc vise toujours un objet extérieur, un objet nouveau, un objet à découvrir… ou à redécouvrir).

De ce moment préconscient, lieu d’accueil de la rencontre, Charles Denner en dit, dans le film, quelques mots à sa façon : « Quand les mini-jupes sont apparues j’ai été très triste, parce que ça ne pouvait plus monter plus haut… et donc, je me suis dis que ça allait redescendre… ». N’est-ce pas-là une belle façon d’illustrer l’objet du désir sur le point d’être découvert, mais à tout moment, menacé de repartir dans le refoulement ? Comment il est plus ou moins voilé ? Egalement combien cet objet (quelque qu’il soit) est toujours souscrit à l’insatisfaction (quand la jupe est longue ça ne va pas ; quand elle est courte ça ne va pas non plus).



Psychiquement, comment cette rencontre (entre les deux perceptions ancienne et actuelle), qui rend amoureux, fonctionne mécaniquement ? Malgré le refoulement (qui institue la faille), ce petit quelque chose, à peine perceptible, fait lien quand même entre les deux objets. Il fait lien, parce qu’il est absorbé par le fantasme qui (au moment de la rencontre) se construit aussitôt et entretient ce lien. Le fantasme c’est une « construction de représentations » qui se situe sur la frange (la frange du refoulement), entre inconscient et conscient (-> c'est à dire en surplomb de la faille). Alimenté par la pulsion d’un côté et le désir de l’autre, il sert de véhicule à cette perception-sensation (cet Einfall) qui fait retour, l’inclut dans son scénario (sa construction de représentations) mais sous forme déguisée (en quelque sorte c’est la jupe, celle qui se raccourcit ou se rallonge. Ou encore, c’est l’habit de Picasso dont la Perruche est amoureuse). Et donc la perception oubliée revient (au niveau de cette frange : le préconscient) et se signifie seulement par le support de l’objet extérieur qui fait identificatoirement miroiter sa trace et donc attire toute la libido du sujet (son désir). Cette perception-sensation se reproduit projectivement, par le support de l’objet rencontré, comme un mirage ! C’est ce mirage (libidinalement investi), c’est cette trace absorbée par le fantasme qui fait se superposer l’autre avec l’Autre.

Et donc, c’est de cette superposition fantasmatique de l’objet, que vient la duperie qui crée tous les embarras amoureux. C’est que cette perception-sensation (qui est ce qui déclenche l’état amoureux) est prise pour « le corps originel tout entier », alors qu’il n’en est que l’objet métonymique. Ce n’est qu’un « reste ». Mais un reste qui soutient l’amour ; on croit jouir du corps de l’Autre, on ne jouit que d’une infime partie. Mais une infime partie que le fantasme récupère. Le rôle du fantasme, c’est de dédommager sur ce qui a été perdu. Alors, il fait croire que la jouissance de l’objet est sans limite (qu’il y aurait « un toujours Plus » possible). La scène d’amour fantasmée est sans contrainte, sans censure, sans interdit. Sauf que ça ne jouit (à l’infini) que d’un petit Reste. C’est donc forcément toujours limité !...

Du coup, du fait de cette duperie psychique, la personne « aperçue » (qui fait sensation), lorsqu’elle se présente au sujet en surplomb de sa faille, provoquant le retour instantané de la libido fixée du côté de l’originaire, peut aller jusqu’à faire déborder le fantasme et provoquer un conflit. Un conflit qui va se manifeste par une exigence : l’exigence de la passion. A cet homme, la femme qui lui fait miroiter une perception-sensation reconnaissable de sa propre jouissance retranchée (à lui) : il la lui faut coût que coûte… Sauf que, ce reste de perception-sensation qui déclenche l’amour (et dont cette inconnue est le support), confronte toujours l’amour à son impuissance. Ne pouvoir jouir que de ce reste laisse la demande d’amour à jamais insatisfaite. Il en faut encore plus. « Qu’est-ce qu’elles ont toutes ces femmes ? Qu’est-ce qu’elles ont de plus que celles que je connais déjà ? – Ce sont des inconnues… et j’ai besoin de les connaître… », se demande Charles Denner.






















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