Effets de transmission
Hèléne Godefroy
Cette
question de transmission sans doute restera-t-elle ouverte à l’infini…
Dans
ce débat complexe, s’intéressant tout particulièrement à la formation des
psychanalystes, je me sens toujours partagée entre cette conviction d’une
psychanalyse transmissible et l’idée d’une transmission impossible.
Mais,
pour argumenter notre propos, commençons par relever quelques repères
concernant le parcours imparti à la transmission. Ce parcours s’initie à partir
de la position d’analysant (qu’est-ce que l’analyste transmet, en fait, à son patient
sur le divan ?). Ensuite, il chemine à l’occasion d’un basculement du
désir : cette circonstance x du désir qui ouvre l’accès à « devenir
soi-même analyste » (comment la transmission, précédemment acquise sur le
divan, se rediffuse-t-elle à partir du fauteuil ? Ou plutôt, comment se
transpose-t-elle d’un dispositif passif vers une position active). Et enfin
qu’en est-il du transmissible lorsque, en tant qu’analyste, on évoque soi-même
en privé ou en public ses propres cures ?
Cependant,
au demeurant, de quelle transmission s’agit-il ? De quel savoir ?
Lorsqu’il
y a, pour le sujet, un désir de « formation » de type analytique,
tout ce cheminement qui étaye la transmission, au cours du travail d’analyse,
convoque nécessairement différentes catégories de savoir.
Il
est certes impossible de devenir psychanalyste sans avoir, au préalable, pris
textuellement connaissance des bases théoriques ? Notamment les bases
originelles élaborées à partir du pragmatisme de son fondateur, qui constituent
la charpente même de toute élaboration théorique à venir (Lacan étant le
prolongateur de cette théorie fondatrice). Un « savoir » qui, non
seulement justifie du bien fondé de la pratique analytique ; non seulement
démontrent l’existence d’un inconscient, en tant que formation psychique
dépendant de processus métapsychologiques. Mais également, un savoir relevant
du domaine scientifique, en tant qu’il constitue un ensemble de concepts
caractérisant le champ analytique[1].
Or,
repérons que la transmission de ce savoir spécifique est rendue possible grâce
aux nombreuses parutions qui lui apportent leur contribution, mais aussi
l’enseignement universitaire, les stages en institution, les groupes de
travail, les nombreux séminaires qu’offrent les différentes écoles, sans
compter les colloques. Chacun puise dans ses différents supports, sinon sur le terrain
clinique, ce qu’il peut et ce qu’il veut. Qu’il soit novice ou expérimenté,
quiconque peut y emprunter ce qui fait sens pour lui, ou y abandonner ce qu’il
conteste ou n’entend pas…
De
fait, la transmission de ce savoir-là, qui pose les bases de la psychanalyse et
participe à la formation du psychanalyste, ne peut être éludée. Sans quoi, dans
notre pratique, nous ne pouvons revendiquer adopter cette méthode. Car, même si
notre technique fait appel à une orientation psychanalytique, nous nous maintenons
du côté de la psychothérapie.
Ainsi,
la transmission œuvre au niveau de ce savoir théorique, qui démontre la
psychanalyse. Mais, à mesure que s’assimile ce savoir constitué, celui-ci vient
s’annexer à un autre savoir : celui sur sa propre cure. Un savoir
singulier qui s’acquiert en même temps que se découvrent les contours de sa
dimension inconsciente subjective, mettant à jour les formations psychiques qui
en procèdent. Or, dans cette conjugaison entre connaissance théorique et
l’analyse d’un savoir sur ses propres formations de l’inconscient, le processus
de transmission franchit là une autre étape d’assimilation, se prêtant à une
nouvelle forme d’émission. Par le prisme de notre propre expérience analytique,
la transmission bascule de l’assimilation passive à une théorisation active
pour prendre au fil de la cure, et souvent à notre insu, la tournure d’une
« pratique théorique »[2].
Dès
lors, de ce nouveau savoir, issu d’une gestation entre acquis théoriques
originaires et production singulière d’une « théorie spontanée »[3],
qu’en est-il du transmissible ? Qu’elle transmission possible, alors que de
notre expérience analytique bien des aspects nous échappent ? Car, si le
savoir de base est entériné, du point de vue du sujet, il perd aussi de sa
consistance doctrinale, en tant qu’il est réapproprié par le filtre du désir.
En l’occurrence, le désir de savoir (progressivement gonflé d’un travail de
re-connaissance sous le repérage du savoir déjà constitué) se transmue en désir
d’analyse devant se commuer en désir de devenir soi-même psychanalyste. Par ce
renversement d’action élaborative, la transmission fait en effet l’objet d’un
processus de métamorphose duquel découle, à présent, une théorie privée. Une
théorie privée au sens où, ce qui, dans l’antre des séances a été
singulièrement perçu de la pratique analytique, fait, de la part de
l’analysant, l’objet d’une production théorique. Une production théorique dès
lors subjectivée, puisqu’elle est d’autant plus issue de l’opération
transférentielle. En même temps, le rapport transférentiel entre un analysant
et son analyste, l’ « acting » particulier qui en produit le
mouvement et le gain qui en dérive sont-ils élaborables, et par conséquent
assurément transmissibles ? Peut-on véritablement rapporter hors séance un
fait de transfert ? Qui plus est, un moment transférentiel singulier, pris
dans un fait clinique caractéristique d’une cure précise, peut-il lui-même
confirmer ou infirmer la théorie de base, voire devenir l’objet d’une théorie à
venir généralisable ?
Au
regard de cet inattendu, propre au dispositif analytique, ou à cet
indescriptible qui échappe presqu’aussitôt au patient, mais tout aussi bien à
son analyste, il semble que la transmission psychanalytique ne peut pas
procéder autrement que de disséminer ses manques. Précisons, cependant, que ses
manques sont des « restes » de cures, sur le moment esquivés, dont
elle peut, dans l’après-coup de l’expérience, sans doute en récupérer des
fragments. Mais si cette remémorisation ne s’impose pas, ces fragments restés
en suspens conservent-ils au fond une trace mnésique ? Et, de fait,
restent-ils définitivement voués à intransmissible ?
Quoique,
s’ils demeurent à jamais intransmissibles, nous savons aussi que notre propre
expérience analytique participe de très près à notre future pratique ; et
ceci bien qu’elle y participe à notre insu pour une bonne part. Lorsque
l’analysant accède à ce temps « x » de son analyse, s’autorisant à
devenir lui-même psychanalyste, que va-t-il, à son tour, transmettre au
juste ? En somme, de la théorie fondatrice au savoir subjectivé, lui-même
traversé par le désir d’analyse pour nos patients, que transmettons-nous, en
fait, de notre propre pratique ?
Qu’il
fut repérable au cours de notre analyse ou légué à notre insu, il y a ce savoir
qui nous a été transféré et que nous rétrocédons (du moins en partie) au cœur
même des cures de nos jeunes analysants. Un savoir qui a été depuis théorisé,
assimilé, subjectivé, accru d’un savoir-faire technique qui est à présent
réarticulé à la singularité et l’imprévisibilité d’une clinique toujours à
découvrir.
Et
il y a ce savoir sur notre propre pratique articulé à notre clinique, que nous
transmettons à nos pairs dans un contexte privé ou public. Et précisément,
indépendamment du contrôle, il paraît intéressant de saisir ce qui parvient (ou
ne parvient pas) à se transmettre par écrits ou lors de conférences.
Et
c’est, en définitive, de cette transmission-là dont cette intervention va
particulièrement faire l’objet.
[1] Sur ce sujet, voir les propos de Freud dans son article,
« « Psychanalyse » et « théorie de la libido » »,
in RIP II, 51-77 p.
[2] G. Pommier apporte, à ce propos, un éclairage instructif et précieux
dans « Formations de l’inconscient, formation théorique, formation du
psychanalyse », in La formation des
psychanalystes, Eres, p. 85
[3] Idem, p. 85
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