INTERVENCION EN EL CONGRESO DE LA FEP EN ROMA 2014 (Texto en francés)



Effets de transmission
Hèléne Godefroy

Cette question de transmission sans doute restera-t-elle ouverte à l’infini…
Dans ce débat complexe, s’intéressant tout particulièrement à la formation des psychanalystes, je me sens toujours partagée entre cette conviction d’une psychanalyse transmissible et l’idée d’une transmission impossible.
Mais, pour argumenter notre propos, commençons par relever quelques repères concernant le parcours imparti à la transmission. Ce parcours s’initie à partir de la position d’analysant (qu’est-ce que l’analyste transmet, en fait, à son patient sur le divan ?). Ensuite, il chemine à l’occasion d’un basculement du désir : cette circonstance x du désir qui ouvre l’accès à « devenir soi-même analyste » (comment la transmission, précédemment acquise sur le divan, se rediffuse-t-elle à partir du fauteuil ? Ou plutôt, comment se transpose-t-elle d’un dispositif passif vers une position active). Et enfin qu’en est-il du transmissible lorsque, en tant qu’analyste, on évoque soi-même en privé ou en public ses propres cures ?


Cependant, au demeurant, de quelle transmission s’agit-il ? De quel savoir ?
Lorsqu’il y a, pour le sujet, un désir de « formation » de type analytique, tout ce cheminement qui étaye la transmission, au cours du travail d’analyse, convoque nécessairement différentes catégories de savoir.
Il est certes impossible de devenir psychanalyste sans avoir, au préalable, pris textuellement connaissance des bases théoriques ? Notamment les bases originelles élaborées à partir du pragmatisme de son fondateur, qui constituent la charpente même de toute élaboration théorique à venir (Lacan étant le prolongateur de cette théorie fondatrice). Un « savoir » qui, non seulement justifie du bien fondé de la pratique analytique ; non seulement démontrent l’existence d’un inconscient, en tant que formation psychique dépendant de processus métapsychologiques. Mais également, un savoir relevant du domaine scientifique, en tant qu’il constitue un ensemble de concepts caractérisant le champ analytique[1].
Or, repérons que la transmission de ce savoir spécifique est rendue possible grâce aux nombreuses parutions qui lui apportent leur contribution, mais aussi l’enseignement universitaire, les stages en institution, les groupes de travail, les nombreux séminaires qu’offrent les différentes écoles, sans compter les colloques. Chacun puise dans ses différents supports, sinon sur le terrain clinique, ce qu’il peut et ce qu’il veut. Qu’il soit novice ou expérimenté, quiconque peut y emprunter ce qui fait sens pour lui, ou y abandonner ce qu’il conteste ou n’entend pas…
De fait, la transmission de ce savoir-là, qui pose les bases de la psychanalyse et participe à la formation du psychanalyste, ne peut être éludée. Sans quoi, dans notre pratique, nous ne pouvons revendiquer adopter cette méthode. Car, même si notre technique fait appel à une orientation psychanalytique, nous nous maintenons du côté de la psychothérapie.

Ainsi, la transmission œuvre au niveau de ce savoir théorique, qui démontre la psychanalyse. Mais, à mesure que s’assimile ce savoir constitué, celui-ci vient s’annexer à un autre savoir : celui sur sa propre cure. Un savoir singulier qui s’acquiert en même temps que se découvrent les contours de sa dimension inconsciente subjective, mettant à jour les formations psychiques qui en procèdent. Or, dans cette conjugaison entre connaissance théorique et l’analyse d’un savoir sur ses propres formations de l’inconscient, le processus de transmission franchit là une autre étape d’assimilation, se prêtant à une nouvelle forme d’émission. Par le prisme de notre propre expérience analytique, la transmission bascule de l’assimilation passive à une théorisation active pour prendre au fil de la cure, et souvent à notre insu, la tournure d’une « pratique théorique »[2].
Dès lors, de ce nouveau savoir, issu d’une gestation entre acquis théoriques originaires et production singulière d’une « théorie spontanée »[3], qu’en est-il du transmissible ? Qu’elle transmission possible, alors que de notre expérience analytique bien des aspects nous échappent ? Car, si le savoir de base est entériné, du point de vue du sujet, il perd aussi de sa consistance doctrinale, en tant qu’il est réapproprié par le filtre du désir. En l’occurrence, le désir de savoir (progressivement gonflé d’un travail de re-connaissance sous le repérage du savoir déjà constitué) se transmue en désir d’analyse devant se commuer en désir de devenir soi-même psychanalyste. Par ce renversement d’action élaborative, la transmission fait en effet l’objet d’un processus de métamorphose duquel découle, à présent, une théorie privée. Une théorie privée au sens où, ce qui, dans l’antre des séances a été singulièrement perçu de la pratique analytique, fait, de la part de l’analysant, l’objet d’une production théorique. Une production théorique dès lors subjectivée, puisqu’elle est d’autant plus issue de l’opération transférentielle. En même temps, le rapport transférentiel entre un analysant et son analyste, l’ « acting » particulier qui en produit le mouvement et le gain qui en dérive sont-ils élaborables, et par conséquent assurément transmissibles ? Peut-on véritablement rapporter hors séance un fait de transfert ? Qui plus est, un moment transférentiel singulier, pris dans un fait clinique caractéristique d’une cure précise, peut-il lui-même confirmer ou infirmer la théorie de base, voire devenir l’objet d’une théorie à venir généralisable ?
Au regard de cet inattendu, propre au dispositif analytique, ou à cet indescriptible qui échappe presqu’aussitôt au patient, mais tout aussi bien à son analyste, il semble que la transmission psychanalytique ne peut pas procéder autrement que de disséminer ses manques. Précisons, cependant, que ses manques sont des « restes » de cures, sur le moment esquivés, dont elle peut, dans l’après-coup de l’expérience, sans doute en récupérer des fragments. Mais si cette remémorisation ne s’impose pas, ces fragments restés en suspens conservent-ils au fond une trace mnésique ? Et, de fait, restent-ils définitivement voués à intransmissible ?

Quoique, s’ils demeurent à jamais intransmissibles, nous savons aussi que notre propre expérience analytique participe de très près à notre future pratique ; et ceci bien qu’elle y participe à notre insu pour une bonne part. Lorsque l’analysant accède à ce temps « x » de son analyse, s’autorisant à devenir lui-même psychanalyste, que va-t-il, à son tour, transmettre au juste ? En somme, de la théorie fondatrice au savoir subjectivé, lui-même traversé par le désir d’analyse pour nos patients, que transmettons-nous, en fait, de notre propre pratique ?
Qu’il fut repérable au cours de notre analyse ou légué à notre insu, il y a ce savoir qui nous a été transféré et que nous rétrocédons (du moins en partie) au cœur même des cures de nos jeunes analysants. Un savoir qui a été depuis théorisé, assimilé, subjectivé, accru d’un savoir-faire technique qui est à présent réarticulé à la singularité et l’imprévisibilité d’une clinique toujours à découvrir.
Et il y a ce savoir sur notre propre pratique articulé à notre clinique, que nous transmettons à nos pairs dans un contexte privé ou public. Et précisément, indépendamment du contrôle, il paraît intéressant de saisir ce qui parvient (ou ne parvient pas) à se transmettre par écrits ou lors de conférences.

Et c’est, en définitive, de cette transmission-là dont cette intervention va particulièrement faire l’objet.


[1] Sur ce sujet, voir les propos de Freud dans son article, « « Psychanalyse » et « théorie de la libido » », in RIP II, 51-77 p.
[2] G. Pommier apporte, à ce propos, un éclairage instructif et précieux dans « Formations de l’inconscient, formation théorique, formation du psychanalyse », in La formation des psychanalystes, Eres, p. 85
[3] Idem, p. 85

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