Y
Roland Chemama
Ce Congrès est consacré à la formation de l’analyste
aujourd’hui, mais avant de
choisir définitivement ce thème nous avions évoqué celui de
la psychanalyse
laïque. Ce changement n’a rien d’étonnant parce que les deux
questions sont assez
clairement liées.
Le lien historique est paradoxal. Durant les premières
décennies, face aux réserves
des pouvoirs publics, ou des analystes eux mêmes, par
rapport à l’exercice de la
psychanalyse par les non médecins, on imagina un temps que
les psychanalystes
non médecins pourraient se cantonner à l’analyse didactique.
Comme s’il était trop
risqué de confier à des non médecins la charge d’analyses
thérapeutiques, mais que
ceux-ci étaient bien assez bons pour former leurs collègues
!
Si nous assimilons l’analyse laïque à l’analyse pratiquée
par des non médecins
( ce qui demanderait d’ailleurs à être précisé ) on voit que
celle-ci se trouve alors
dans une position paradoxale : en un premier sens elle vaut
moins que l’analyse
thérapeutique, puisqu’elle ne peut prétendre à tenter la
guérison des névroses.
Mais en un second sens le dispositif ainsi prévu permet
d’installer une pratique de
la psychanalyse qui aurait d’autres fins que la guérison.
Ainsi l’idée d’une analyse
qui ne serait pas ramenée à la thérapeutique
constitue-t-elle le lieu où peu à peu va
se poser la question de ce qu’est la psychanalyse comme
formation à la pratique
psychanalytique.
Nous nous trouvons alors introduit à la fois à des questions
fondamentales et
éventuellement à un prolongement de ce rappel historique.
La question essentielle, c’est bien sûr celle de la place de
l’analyse didactique – ou
alors faut-il dire simplement la place de l’analyse
personnelle ? – dans la formation.
C’est déjà un point important que les analystes aient
reconnu assez tôt que
l’essentiel dans la formation des psychanalystes n’était pas
l’acquisition d’un savoir
théorique, acquisition relevant d’un enseignement, mais la
traversée personnelle de
l’expérience analytique.
En ce qui concerne la suite des rappels historiques, qu’un
exposé plus complet
pourrait comporter, il faut souligner d’abord que c’est
Ferenczi qui fit adopter la règle
de l’analyse de l’analyste comme deuxième règle fondamentale
de la psychanalyse.
On peut sans doute mettre ce fait en relation avec la
critique très claire qu’il fit,
dans le livre qu’il écrivit avec Rank, Perspectives de la
psychanalyse, d’une illusion
tenace, celle du rôle thérapeutique comme du rôle formateur
du savoir. Les deux
auteurs affirment en effet avec force, dans cet ouvrage, que
de nombreux malades
connaissent tout le savoir analytique de leur analyste sur
le bout des doigts (…)
sans que cela leur soit d’une aide quelconque dans leur
souffrance ». Quant au rôle
du savoir pour le psychanalyste, il est tout aussi stérile.
Les auteurs rappellent en
effet le cas – fréquent à cette époque – de personnes qui
commencent à pratiquer
l’analyse, fortes de leur savoir, alors qu’elles n’ont pu
bénéficier d’une expérience
directe de la cure qui seule les aurait tiré d’une névrose –
sans doute responsable de
leur désir d’être analystes.
Ce temps historique essentiel a le mérite, on le voit, de ne
pas faire de l’analyse
didactique une catégorie d’analyse à part. Nous concevons
tous que la cure de
l’analysant qui devient analyste n’a pas à se distinguer
particulièrement des autres
cures. Le désir de devenir analyste, notamment, peut tout à
fait être considéré
comme un symptôme.
On ne peut cependant en rester à l’idée d’un point
d’équilibre où l’analyse dite
didactique ne serait ni « inférieure » ( plus brève par
exemple ) ni « supérieure » (
plus approfondie ) à l’analyse thérapeutique. Puisque nous
nous réclamons d’une
orientation lacanienne, nous ne pouvons éviter de nous
demander où nous en
sommes du questionnement de Lacan sur ce qui menait un
analysant à occuper la
place du psychanalyste. On sait qu’il lia cette question à
celle de la fin de l’analyse,
au double sens de terminaison et de finalité. Il inventa
même la procédure de
la passe dans l’idée qu’elle permettrait d’en savoir plus
sur ce qui émerge dans
certaines analyses, le désir de l’analyste, élément
essentiel dans la cure de ceux qui
s’adresseront ensuite à lui.
Il faudrait d’ailleurs faire alors état aussi de certaines
difficultés relevées depuis par
rapport à cette procédure. Peut-on par exemple lier le
commencement de la pratique
ave la terminaison de l’analyse personnelle ? L’expérience
montre que ce n’est
pas ordinairement le cas. Peut-on, surtout, penser que la
passe permet de saisir ce
qu’il en est du désir de l’analyste ? Celui-ci, comme tout
désir, et comme le rappelle
Moustapha Safouan, « ressortit à l’ordre de la vérité, ou du
mi-dire, et non à celui du
savoir ». Les témoignages eurent au mieux la valeur
d’éclairs déchirant la nuit. Et
Moustapha Safouan est tout à fait fondé à relever qu’on « ne
peut guère se servir de
l’éclair comme d’une lampe ».
On peut d’ailleurs aller assez vite, sur ce point, au texte,
tellement cité, où Lacan
affirme que la psychanalyse est intransmissible, que chaque
psychanalyste est forcé
de réinventer la psychanalyse ( Conclusions du Congrès de
1978 sur la transmission
). Mais on ne peut pas, quand on lit ce court texte dans son
intégralité, en rester
au constat d’échec. Lacan en effet évoque ce qu’il continue
à attendre de la passe.
Mais le paradoxe c’est sans doute que l’accent se trouve mis
sur la dimension
thérapeutique, alors que la passe était censée rentre compte
d’une tout autre
dimension. Relevant « qu’il y a des gens qui guérissent, et
qui guérissent de leur
névrose, voire de leur perversion », Lacan indique que pour
sa part il en est là.
Il attend de la passe d’en apprendre un peu plus sur ce
point. Et il attend celà de
la part de l’analyste, en tant que celui-ci « sait le truc,
la façon dont on guérit une
névrose ».
Cette attente minimale, et l’usage du mot « truc » me
renvoient pour ma part à
un thème que Lacan avait abordé par trois fois dans son
séminaire de l’année
précédente, L’insu que c’est de l’une bévue s’aile à mourre.
Ce thème, c’est celui de
ce qui peut, selon lui, être attendu d’une psychanalyse :
que le sujet en vienne
à « savoir y faire » avec son symptôme. Est-ce que,
parallèlement, cette idée
d’un « truc » de l’analyste, ne renverrait pas à un « savoir
y faire » ?
Lors du petit colloque que nous avons organisé à San
Sebastian, en février,
plusieurs d’entre nous, et en particulier Jorge Cacho,
avaient évoqué le « savoir-
faire », ou mieux le « savoir y faire » de l’analyste. Il
est alors intéressant de relever
que Lacan lui-même les distingue explicitement dans deux de
ses séminaires. On
pourrait cependant voir d’emblée un obstacle à la réflexion
qui va suivre dans le
fait que cette expression ne se traduit pas facilement dans
d’autres langues, même
européennes. Mais nous y reviendrons.
Le premier séminaire où Lacan évoque explicitement
l’expression qui nous occupe,
c’est D’un Autre à l’autre. Dans sa leçon du 5 mars 1969,
Lacan invoque, à propos
du thème plus général du savoir, et de sa transmission, le
savoir qui nous importe
le plus, « le savoir sexuel » En effet, dit-il, où qu’on
soit, où qu’on fonctionne, par
la fonction du savoir, on est dans l’horizon du sexuel ». Or
de ce savoir, il montre
qu’il ne se confond en rien avec un savoir technique
maîtrisable, comme le serait
une « technique du corps ». « C’est ce qu’on sait le moins,
dit-il, ce savoir qui vous
préoccupe ». Il évoque alors ce qu’il appelle le « savoir y
faire ». Mais dans ce texte
là il n’en reste pas à ce « savoir y faire (…) un peu trop
proche encore du savoir
faire », et il en vient à ce qu’il appelle « savoir y être
». Ne nous attardons pas sur
cette dernière formulation, sauf peut-être pour y voir
l’indication de la nécessité
d’occuper une place déterminée.
Le second séminaire, c’est cet Insu que c’est (… ) auquel
j’ai fait référence. Le 11
novembre 1976, Lacan se demande si la fin de l’analyse ce ne
serait pas de « savoir
y faire avec son symptôme ». Et même si ça lui paraît court,
il revient sur cette
formule le 11 janvier 77. Mais non sans la déplacer. Il dit
en effet ce jour là que
l’homme ne sait pas « faire avec » le savoir inconscient,
qu’il ne sait pas « y faire ».
Et il ajoute : « C’est très important, comme ça, ces nuances
de langue. Ça ne peut
pas se dire, ce « y faire », dans toutes les langues. Savoir
y faire, c’est autre chose
que de savoir faire. Mais cet « y faire » implique qu’on ne
prend pas vraiment la
chose, en somme, en concept ». Enfin il reviendra là dessus
le 15 février mais on
peut laisser de côté cette dernière référence.
Où est-ce que je veux en venir ? Je pense que même si la
dimension du « savoir
y faire » n’est pas référée explicitement, dans ces
séminaires, à la pratique de
l’analyste, la distinction opérée par Lacan entre savoir
faire et savoir y faire pouvait
éclairer quelque chose de ce qui, tout de même, se transmet
peut-être entre
analystes. « Savoir y faire » pourrait être associé, en ce
cas, à l’idée d’un « truc »
pour guérir la névrose. Entendons que guérir la névrose, ce
ne serait pas de l’ordre
d’un « savoir faire », d’une technique qu’il faudrait
appliquer, après qu’on nous l’eût
enseignée, mais de quelque chose qui aurait cette
particularité d’exister sans pour
autant relever du concept – et sans doute aussi sans être
visée comme dans une
technique, une science appliquée, on peut viser une
réalisation.
C’est là dessus que j’ai été chercher, pour pouvoir m’assure
de cela, ce que le
Dictionnaire historique de la langue française, d’Alain Rey,
disait de ce Y. Qu’est-ce que
j’y ai trouvé ?
A propos de ce mot très court, réduit à une lettre, Alain
Rey introduit essentiellement
trois notions. Je commence par la dernière, parce qu’elle
n’est relative qu’à l’emploi
de quelques verbes, comme penser à, ou songer à. J’y pense :
je pense à cela.
Laissons cet emploi de côté.
Une autre approche réfère le y à un pronom adverbial
indiquant le lieu où on est,
ou encore le lieu où l’on va. Même si ce n’est pas
exactement de cela qu’il s’agit
dans « savoir y faire » nous pouvons nous y appuyer pour
suggérer que la pratique
de l’analyse suppose de trouver la position juste.
Enfin la troisième indication d’Alain Rey concerne la
définition de « y » comme un
adverbe ou un pronom qui « n’a pas de sens analysable ».
Cela dans diverses
expressions comme « il y a », « il y va de », « savoir y
faire », « ça y est ». On
peut s’étonner de cette façon de dire. Peut-on se contenter
de dire que dans
ces expressions « y » n’a pas de sens, alors que sa présence
modifie le sens
qu’aurait la proposition s’ils n’y était pas ? Le problème
est plutôt de tenter de
formuler quel est ce « sens » qui ici, visiblement, ne se
réduit pas à la signification.
Pour le psychanalyste ce sont de telles singularités dans la
langue, ou mieux
dans « lalangue », qui permettent à l’analyste d’entendre
l’analysant au delà de ce
qu’il veut explicitement dire. Faut-il alors s’étonner de ce
que, pour rendre compte
de sa pratique, de ce à quoi l’autorise sa formation, il
doive avoir recours à de
telles « nuances de langage » ?
C’est là qu’on pourrait reprendre la question de la «
traductibilité » de cette formule
de Lacan. Le fait que « savoir y faire » ne se traduit pas
facilement dans d’autres
langues, ou d’autres lalangues, est-ce un obstacle à lui
donner toute sa place pour
éclairer notre pratique et notre transmission ? Sans doute
pas, à condition de voir,
dans ces difficultés, une métaphore de ce qui fait,
précisément, la singularité de la
transmission de la psychanalyse. Que l’on soit forcé, dans
chaque langue, d’inventer
une façon de dire, cela métaphorise sans doute assez bien le
fait que chaque
psychanalyste est obligé de réinventer la psychanalyse.
Je me risquerai alors à dire, pour conclure, que si le désir
de l’analyste est un x, sa
formation a rapport avec un y, qui est, comme on sait, la
deuxième inconnue dans
une formule mathé
No hay comentarios:
Publicar un comentario