INTERVENCION EN EL CONGRESO DE LA FEP EN ROMA 2014 (Texto en francés)



Y
Roland Chemama

Ce Congrès est consacré à la formation de l’analyste aujourd’hui, mais avant de
choisir définitivement ce thème nous avions évoqué celui de la psychanalyse
laïque. Ce changement n’a rien d’étonnant parce que les deux questions sont assez
clairement liées.
Le lien historique est paradoxal. Durant les premières décennies, face aux réserves
des pouvoirs publics, ou des analystes eux mêmes, par rapport à l’exercice de la
psychanalyse par les non médecins, on imagina un temps que les psychanalystes
non médecins pourraient se cantonner à l’analyse didactique. Comme s’il était trop
risqué de confier à des non médecins la charge d’analyses thérapeutiques, mais que
ceux-ci étaient bien assez bons pour former leurs collègues !
Si nous assimilons l’analyse laïque à l’analyse pratiquée par des non médecins
( ce qui demanderait d’ailleurs à être précisé ) on voit que celle-ci se trouve alors
dans une position paradoxale : en un premier sens elle vaut moins que l’analyse
thérapeutique, puisqu’elle ne peut prétendre à tenter la guérison des névroses.
Mais en un second sens le dispositif ainsi prévu permet d’installer une pratique de
la psychanalyse qui aurait d’autres fins que la guérison. Ainsi l’idée d’une analyse
qui ne serait pas ramenée à la thérapeutique constitue-t-elle le lieu où peu à peu va
se poser la question de ce qu’est la psychanalyse comme formation à la pratique
psychanalytique.
Nous nous trouvons alors introduit à la fois à des questions fondamentales et
éventuellement à un prolongement de ce rappel historique.
La question essentielle, c’est bien sûr celle de la place de l’analyse didactique – ou
alors faut-il dire simplement la place de l’analyse personnelle ? – dans la formation.
C’est déjà un point important que les analystes aient reconnu assez tôt que
l’essentiel dans la formation des psychanalystes n’était pas l’acquisition d’un savoir
théorique, acquisition relevant d’un enseignement, mais la traversée personnelle de
l’expérience analytique.

En ce qui concerne la suite des rappels historiques, qu’un exposé plus complet
pourrait comporter, il faut souligner d’abord que c’est Ferenczi qui fit adopter la règle
de l’analyse de l’analyste comme deuxième règle fondamentale de la psychanalyse.
On peut sans doute mettre ce fait en relation avec la critique très claire qu’il fit,
dans le livre qu’il écrivit avec Rank, Perspectives de la psychanalyse, d’une illusion
tenace, celle du rôle thérapeutique comme du rôle formateur du savoir. Les deux
auteurs affirment en effet avec force, dans cet ouvrage, que de nombreux malades
connaissent tout le savoir analytique de leur analyste sur le bout des doigts (…)
sans que cela leur soit d’une aide quelconque dans leur souffrance ». Quant au rôle
du savoir pour le psychanalyste, il est tout aussi stérile. Les auteurs rappellent en
effet le cas – fréquent à cette époque – de personnes qui commencent à pratiquer
l’analyse, fortes de leur savoir, alors qu’elles n’ont pu bénéficier d’une expérience
directe de la cure qui seule les aurait tiré d’une névrose – sans doute responsable de
leur désir d’être analystes.
Ce temps historique essentiel a le mérite, on le voit, de ne pas faire de l’analyse
didactique une catégorie d’analyse à part. Nous concevons tous que la cure de
l’analysant qui devient analyste n’a pas à se distinguer particulièrement des autres
cures. Le désir de devenir analyste, notamment, peut tout à fait être considéré
comme un symptôme.
On ne peut cependant en rester à l’idée d’un point d’équilibre où l’analyse dite
didactique ne serait ni « inférieure » ( plus brève par exemple ) ni « supérieure » (
plus approfondie ) à l’analyse thérapeutique. Puisque nous nous réclamons d’une
orientation lacanienne, nous ne pouvons éviter de nous demander où nous en
sommes du questionnement de Lacan sur ce qui menait un analysant à occuper la
place du psychanalyste. On sait qu’il lia cette question à celle de la fin de l’analyse,
au double sens de terminaison et de finalité. Il inventa même la procédure de
la passe dans l’idée qu’elle permettrait d’en savoir plus sur ce qui émerge dans
certaines analyses, le désir de l’analyste, élément essentiel dans la cure de ceux qui
s’adresseront ensuite à lui.
Il faudrait d’ailleurs faire alors état aussi de certaines difficultés relevées depuis par
rapport à cette procédure. Peut-on par exemple lier le commencement de la pratique
ave la terminaison de l’analyse personnelle ? L’expérience montre que ce n’est
pas ordinairement le cas. Peut-on, surtout, penser que la passe permet de saisir ce
qu’il en est du désir de l’analyste ? Celui-ci, comme tout désir, et comme le rappelle
Moustapha Safouan, « ressortit à l’ordre de la vérité, ou du mi-dire, et non à celui du
savoir ». Les témoignages eurent au mieux la valeur d’éclairs déchirant la nuit. Et
Moustapha Safouan est tout à fait fondé à relever qu’on « ne peut guère se servir de
l’éclair comme d’une lampe ».
On peut d’ailleurs aller assez vite, sur ce point, au texte, tellement cité, où Lacan
affirme que la psychanalyse est intransmissible, que chaque psychanalyste est forcé
de réinventer la psychanalyse ( Conclusions du Congrès de 1978 sur la transmission
). Mais on ne peut pas, quand on lit ce court texte dans son intégralité, en rester
au constat d’échec. Lacan en effet évoque ce qu’il continue à attendre de la passe.
Mais le paradoxe c’est sans doute que l’accent se trouve mis sur la dimension
thérapeutique, alors que la passe était censée rentre compte d’une tout autre
dimension. Relevant « qu’il y a des gens qui guérissent, et qui guérissent de leur
névrose, voire de leur perversion », Lacan indique que pour sa part il en est là.
Il attend de la passe d’en apprendre un peu plus sur ce point. Et il attend celà de
la part de l’analyste, en tant que celui-ci « sait le truc, la façon dont on guérit une
névrose ».
Cette attente minimale, et l’usage du mot « truc » me renvoient pour ma part à
un thème que Lacan avait abordé par trois fois dans son séminaire de l’année
précédente, L’insu que c’est de l’une bévue s’aile à mourre. Ce thème, c’est celui de
ce qui peut, selon lui, être attendu d’une psychanalyse : que le sujet en vienne
à « savoir y faire » avec son symptôme. Est-ce que, parallèlement, cette idée
d’un « truc » de l’analyste, ne renverrait pas à un « savoir y faire » ?
Lors du petit colloque que nous avons organisé à San Sebastian, en février,
plusieurs d’entre nous, et en particulier Jorge Cacho, avaient évoqué le « savoir-
faire », ou mieux le « savoir y faire » de l’analyste. Il est alors intéressant de relever
que Lacan lui-même les distingue explicitement dans deux de ses séminaires. On
pourrait cependant voir d’emblée un obstacle à la réflexion qui va suivre dans le
fait que cette expression ne se traduit pas facilement dans d’autres langues, même
européennes. Mais nous y reviendrons.
Le premier séminaire où Lacan évoque explicitement l’expression qui nous occupe,
c’est D’un Autre à l’autre. Dans sa leçon du 5 mars 1969, Lacan invoque, à propos
du thème plus général du savoir, et de sa transmission, le savoir qui nous importe
le plus, « le savoir sexuel » En effet, dit-il, où qu’on soit, où qu’on fonctionne, par
la fonction du savoir, on est dans l’horizon du sexuel ». Or de ce savoir, il montre
qu’il ne se confond en rien avec un savoir technique maîtrisable, comme le serait
une « technique du corps ». « C’est ce qu’on sait le moins, dit-il, ce savoir qui vous
préoccupe ». Il évoque alors ce qu’il appelle le « savoir y faire ». Mais dans ce texte
là il n’en reste pas à ce « savoir y faire (…) un peu trop proche encore du savoir
faire », et il en vient à ce qu’il appelle « savoir y être ». Ne nous attardons pas sur
cette dernière formulation, sauf peut-être pour y voir l’indication de la nécessité
d’occuper une place déterminée.
Le second séminaire, c’est cet Insu que c’est (… ) auquel j’ai fait référence. Le 11
novembre 1976, Lacan se demande si la fin de l’analyse ce ne serait pas de « savoir
y faire avec son symptôme ». Et même si ça lui paraît court, il revient sur cette
formule le 11 janvier 77. Mais non sans la déplacer. Il dit en effet ce jour là que
l’homme ne sait pas « faire avec » le savoir inconscient, qu’il ne sait pas « y faire ».
Et il ajoute : « C’est très important, comme ça, ces nuances de langue. Ça ne peut
pas se dire, ce « y faire », dans toutes les langues. Savoir y faire, c’est autre chose
que de savoir faire. Mais cet « y faire » implique qu’on ne prend pas vraiment la
chose, en somme, en concept ». Enfin il reviendra là dessus le 15 février mais on
peut laisser de côté cette dernière référence.
Où est-ce que je veux en venir ? Je pense que même si la dimension du « savoir
y faire » n’est pas référée explicitement, dans ces séminaires, à la pratique de
l’analyste, la distinction opérée par Lacan entre savoir faire et savoir y faire pouvait
éclairer quelque chose de ce qui, tout de même, se transmet peut-être entre
analystes. « Savoir y faire » pourrait être associé, en ce cas, à l’idée d’un « truc »
pour guérir la névrose. Entendons que guérir la névrose, ce ne serait pas de l’ordre
d’un « savoir faire », d’une technique qu’il faudrait appliquer, après qu’on nous l’eût
enseignée, mais de quelque chose qui aurait cette particularité d’exister sans pour
autant relever du concept – et sans doute aussi sans être visée comme dans une
technique, une science appliquée, on peut viser une réalisation.
C’est là dessus que j’ai été chercher, pour pouvoir m’assure de cela, ce que le
Dictionnaire historique de la langue française, d’Alain Rey, disait de ce Y. Qu’est-ce que
j’y ai trouvé ?
A propos de ce mot très court, réduit à une lettre, Alain Rey introduit essentiellement
trois notions. Je commence par la dernière, parce qu’elle n’est relative qu’à l’emploi
de quelques verbes, comme penser à, ou songer à. J’y pense : je pense à cela.
Laissons cet emploi de côté.
Une autre approche réfère le y à un pronom adverbial indiquant le lieu où on est,
ou encore le lieu où l’on va. Même si ce n’est pas exactement de cela qu’il s’agit
dans « savoir y faire » nous pouvons nous y appuyer pour suggérer que la pratique
de l’analyse suppose de trouver la position juste.
Enfin la troisième indication d’Alain Rey concerne la définition de « y » comme un
adverbe ou un pronom qui « n’a pas de sens analysable ». Cela dans diverses
expressions comme « il y a », « il y va de », « savoir y faire », « ça y est ». On
peut s’étonner de cette façon de dire. Peut-on se contenter de dire que dans
ces expressions « y » n’a pas de sens, alors que sa présence modifie le sens
qu’aurait la proposition s’ils n’y était pas ? Le problème est plutôt de tenter de
formuler quel est ce « sens » qui ici, visiblement, ne se réduit pas à la signification.
Pour le psychanalyste ce sont de telles singularités dans la langue, ou mieux
dans « lalangue », qui permettent à l’analyste d’entendre l’analysant au delà de ce
qu’il veut explicitement dire. Faut-il alors s’étonner de ce que, pour rendre compte
de sa pratique, de ce à quoi l’autorise sa formation, il doive avoir recours à de
telles « nuances de langage » ?
C’est là qu’on pourrait reprendre la question de la « traductibilité » de cette formule
de Lacan. Le fait que « savoir y faire » ne se traduit pas facilement dans d’autres
langues, ou d’autres lalangues, est-ce un obstacle à lui donner toute sa place pour
éclairer notre pratique et notre transmission ? Sans doute pas, à condition de voir,
dans ces difficultés, une métaphore de ce qui fait, précisément, la singularité de la
transmission de la psychanalyse. Que l’on soit forcé, dans chaque langue, d’inventer
une façon de dire, cela métaphorise sans doute assez bien le fait que chaque
psychanalyste est obligé de réinventer la psychanalyse.
Je me risquerai alors à dire, pour conclure, que si le désir de l’analyste est un x, sa
formation a rapport avec un y, qui est, comme on sait, la deuxième inconnue dans
une formule mathé

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