INTERVENCION en las JORNADAS DE LA FEP en San Sebastián en febrero de 2014. Texto en francés



LES RISQUES DU METIER DANS LA FORMATION DU PSYCHANALYSTE, DE LA MORALE A L’ETHIQUE
San Sébastian 22 février 2014- Fondation Européenne
Par Monique Lauret
La question du pouvoir du psychanalyste est une question cruciale qu’a développée Lacan dans « La direction de la cure et les principes de son pouvoir » en 1958. Il entendait montrer en quoi « l’impuissance à soutenir authentiquement une praxis, se rabat, comme il en est de l’histoire des hommes commun, sur l’exercice d’un pouvoir. »[1] C’est bien évidemment sur ce point qu’achoppent et qu’achopperont les détracteurs de la psychanalyse en en faisant un argument de fond. Il me semble important dans la formation du psychanalyste, et plus particulièrement dans la formation des jeunes analystes, de rappeler les questions essentielles développées par Freud sur le transfert dans La technique psychanalytique, ayant déjà eu peur des attaques disqualifiantes envers la psychanalyse et sa scientificité ;  et reprises par Lacan qui va le recentrer sur la question du désir de l’analyste. Or il est important de rappeler que celui qui a le pouvoir dans la cure c’est le signifiant, et son importance dans la localisation de la vérité analytique.

 
La règle première fondamentale de la cure analytique définie par Freud, est que l’analyse est une cure de parole, énoncée et écoutée, sans qu’aucun agir n’intervienne. Les limites sont fixées par le cadre, l’analyste est défini par son acte qui est un acte de parole, se mêlant d’une action qui va au cœur de l’être, sans jamais diriger le patient. Les sentiments de l’analyste n’ont qu’une place possible dans ce jeu, nous rappelle Lacan, celle du mort. La direction de la cure consiste d’abord à faire appliquer par le sujet la règle analytique. Or, cette situation idéale peut s’émailler  dans certaines circonstances d’agirs, soit de la part de l’analysant ou quelquefois de la part de l’analyste. Moments de résistances de la part de l’analysant, soit par tentatives d’attaques du cadre, retards répétés, absences, voire acting-outs ou véritables passages à l’acte. Moments d’agir de l’analyste lorsqu’il se laisse aller à abandonner son rôle de gardien du cadre, comme prolonger la séance, réduire ses honoraires ou s’engager dans un dévoilement personnel ; toutes les situations ou un contre-transfert insuffisamment analysé peut pousser à chercher à faire plaisir et fuir le transfert négatif au moyen de gratifications. Ce sont en fait des moments de relâchement progressif du cadre qui détériorent peu à peu le processus analytique, et enferrent l’analysant dans la boucle d’une demande insatiable. Le dépassement des limites peut concerner autant le cadre que l’interprétation, lors de modifications du ton de la voix, incompréhension par projections personnelles ou non respect du rythme psychique du patient. Ces différentes formes d’agir ont été étudiées par Louise de Urtubey[2](membre de la SPP et lectrice de l’International Journal of Psychoanalysis) : que ce soit l’acte manqué proche du symptôme maintenant ainsi la libido du névrosé, l’énaction, le passage à l’acte avec dépassement des limites et le passage à l’acte transgressif sexuel, véritable ennemi de la cure  à caractère destructif. « Le transfert devient donc le champ de bataille sur lequel doivent se concentrer toutes les forces en lutte les unes contre les autres. » rappelait Freud.[3]Le transfert doit être traité pour Lacan comme une forme particulière de la résistance, c’est un point particulier dans sa manière de réinventer la psychanalyse. Le transfert devient la réalité de l’analyste et la relation au réel, le terrain où se décide le combat. L’interprétation est d’abord ajournée jusqu’à la consolidation du transfert, elle devient ensuite subordonnée à la réduction de celui-ci. Elle se résorbera dans ce que Lacan appelle le working through, le travail du transfert.
L’instrument du psychanalyste, c’est le plan de la vérité. Lacan le dit bien sur la question de  cette expérience : «  il faut que nous y conservions la possibilité d’un certain fil qui nous garantisse tout au moins que nous ne trichons pas avec ce qui est notre instrument même, c'est-à-dire le plan de la vérité. »[4] Or, la psychanalyse, à partir de cette double question de la vérité et de la parole n’est pas une pratique sans risques. Il y a une dangerosité du transfert, remarquait Freud, qui peut s’avérer « un moyen dangereux entre les mains d’un analyste non consciencieux »[5] dans les Leçons d’introduction à la psychanalyse. Le transfert s’impose pour lui comme une dernière création de la maladie, permettant le déplacement (l’étymologie du mot transfert est transferre, porter au-delà, synonyme de transport), des produits psychiques morbides dans un mouvement qui permettra la mise à jour de la cause de l’impasse subjective, le refoulé. Ce transfert est à la fois le levier de guérison de la névrose, mais aussi son obstacle. L’irruption de la passion signant la résistance, le transfert devient alors l’instrument de la résistance. L'analyste ne doit pas perdre de vue comme le rappelle Freud, que tout ce qui entrave la continuation du traitement peut être une manifestation de la résistance. Il serait facile, dit Freud, de s’appuyer sur la morale courante pour déclarer que l’analyste ne doit jamais, « au grand jamais » agréer la tendresse qu'on lui offre, ni y répondre, mais toute la responsabilité pèse sur le médecin seul dit Freud, qui doit se poser en « champion » du renoncement et de la pureté pour laisser ouverte la poursuite de l’analyste. « Il est interdit à l’analyste de céder. »[6], rajoute-t-il. L’irruption de la passion dans le moment le plus fécond de la cure, peut dans certains cas où les conseils de Freud sont oubliés, ne pas se produire sans dégâts pour les deux protagonistes engagés dans cette singulière expérience, le couple analyste-analysant en prise aux mouvements psychiques tumultueux de la cure. Il n’y a de résistance à l’analyse que de la part de l’analyste rappelle Lacan.
 La question du transfert concerne donc la question de la vérité, dans ce laboratoire des passions humaines qu’est la psychanalyse, et les seuls obstacles vraiment sérieux ne se rencontrent que dans son maniement. On manie l’explosif des pulsions et des émois psychiques les plus dangereux, disait Freud dans son article « Observations sur l’amour de transfert »[7] . Maniement de la relation transférentielle qui ne doit pas omettre celle qui tourne autour de l’objet a, rappelle Lacan. Le sujet saisi de passion est dépossédé de lui-même, le risque est celui de ne plus être. L’analyste, muni de sa boussole analytique, doit maintenir le cap, quelque soit la météo psychique, celui de faire advenir du sujet à l’aide du signifiant, le seul qui ait le pouvoir dans la cure, dont le facteur décisif du progrès tient dans l’introduction de la fonction de coupure. Le but de l’analyse est d’éliminer définitivement la névrose, rappelait Freud. Le désir de l’analyste est une question centrale, Lacan va le placer comme pivot du transfert. Dans la position que l’analyste doit occuper : « il s’agit de ce qui est au cœur de la réponse que l’analyste doit donner pour satisfaire au pouvoir du transfert »[8]. Une éthique est à formuler pour Lacan, intégrant les conquêtes freudiennes sur le désir, il s’agira de mettre à la pointe, en exergue, la question centrale du désir de l’analyste.
Certains cas de psychanalystes s’étant laissé piéger dans les risques du métier sont connus et ont été étudiés dans l’histoire de la psychanalyse : Jung et Sabina Spielrein ; Ferenczi et Gizella Pàlos. Les fondateurs ont certainement ignoré la gravité du passage à l’acte œdipien, attitude transmise d’une génération à l’autre sans véritable réflexion approfondie sur ce sujet. Jung appelait Sabina son « cas d’apprentissage »[9], dans une passion débutée en 1904 à l’hôpital Burghölzli de Zurich où elle était hospitalisée et suivie en cure par lui. Passion que Jung tentera de juguler cinq ans plus tard en rejetant et abandonnant Sabina, avec sollicitation de l’aide de sa mère, lorsque Sabina tentera d’agir son désir d’enfant du père avec lui dans un véritable acting-out, avoir un enfant imaginaire, fruit de son amour transférentiel, nommé Siegfried. L’histoire de Sabina Spielrein n’a pu être reconstituée qu’à la suite de la découverte d’un carton rempli de lettres et de journaux intimes dans les caves du Palais Wilson à Genève en 1977. D’autres cas sont plus récents, Masud khan à Londres dont les multiples passages à l’acte sexuels avec les patientes ont entrainé un scandale en 2001, après sa mort, à la suite de la parution de l’article d’un de ses analysants, ayant permis d’amener au grand jour la question de la violation des limites à la British Pyschoanaltical Society. Cas que j’ai décrits dans un ouvrage Les accidents du transfert[10] paru en 2006, ainsi que dans différents articles.
Ces exemples décrits de risques du métier les plus graves, soit le passage à l’acte sexuel entre l’analyste et l’analysant doivent nous amener à toujours repenser au-delà d’une morale, notre impossible métier ainsi que son éthique. Qu’est-ce qui peut faire qu’un analyste perde son cap et laisse la vague de l’infantile submerger l’édifice de subjectivation construit, fragile chez l’analysant, qui peut mener à un véritable effondrement psychique quand le fantasme est agi ?. L’analyste peut se laisser entrainer par un point resté aveugle de sa propre analyse à lui. Le passage à l’acte se produit en l’absence du sujet, Lacan le comparait à une fugue, où l’agir est mené par l’objet a, dans sa fonction de reste du sujet auquel il est totalement identifié à ce moment là, dans un moment de confrontation de son désir et de la loi. Cela irait dans le sens de l’hypothèse et la force d’attraction de la séduction généralisée de Laplanche dans laquelle l’Œdipe s’inscrit et dans laquelle la cure navigue. La découverte de l'inconscient ne peut se poursuivre du fait de l’irruption de l’agir en place de remémoration, c'est un moment de répétition élargie voire d’acting-out de la part de l’analysant dans sa demande de séduction œdipienne, c'est un moment de répétition de la part de l’analyste qui ne peut dépasser un point aveugle de sa propre analyse autrement qu’en agissant le fantasme et prenant possession du corps du patient dans une « dérive pulsionnelle réalisée »[11]. C’est un moment de fracture voire de destruction du travail analytique jusque là accompli plongeant alors le patient dans une véritable confusion du manifeste et du latent, entrainant des moments de déréalisation avec des doutes concernant la perception de la réalité. Cet agir plus déstructurant que les fantasmes, crée un véritable traumatisme dans l’analyse équivalent à un traumatisme infantile, c'est la thèse de Louise de Urtubey.
L’impasse peut aussi venir de la fin d’analyse de l’analyste, rappelle Gérard Pommier, ce moment qui nécessite la construction du fantasme ainsi que son interprétation. Moment qui place le futur analyste devant un choix inévitable dont l’option est imprévisible : soit s’identifier au désir qui le cause, l’analyse est terminée et il peut devenir analyste à son tour, soit s’identifier à l’Autre du discours, lieu d’adresse de toute parole et non son déchet. Il peut dans ce cas prendre « la position de pouvoir de celui qui sait ce que détermine le désir. »[12]. Ce choix de s’identifier à l’Autre du discours peut trouver son origine dans l’horreur de la castration, au moment où dès l’interprétation l’Autre maternel s’efface. S’identifier à cet Autre permet de maintenir cette figure malgré tout. Il s’agit d’un sérieux écueil  sur lequel vient buter l’analyse. Ce qui peut pousser un analyste à utiliser cette place dans le transfert peut se dérouler totalement à son insu. Il s’agit pour moi, dans ces cas de passage à l’acte sexuel, d’inceste psychique. Terme avancé par J.B. Pontalis dans un article sur la réaction thérapeutique négative[13] et que je pose pour ces cas là. La parole plonge alors du côté du réel, dans une jonction R-I, rejetant la fonction symbolique de l’écoute analytique.
La perversion se situe là, quand le désir d’analyste ne remplit plus sa fonction de faire barrière à la jouissance, créant une confusion. Perversion ou plutôt Verwerfung quand cette déroutante découverte de l’inconscient plonge les deux protagonistes dans la confusion du grand Autre et du petit a (l’objet cause du désir), bloquant l’opération analytique dans son effet de coupure. Blocage par la réapparition dans le réel de ce qui est refusé dans l’ordre symbolique, la Verwerfung,  que ce soit chez l’analyste ou l’analysant qui y est ainsi entraîné. Ce type d’analyste transgresseur se fait « l’objet en trop » du patient dans une position érotomane chez les deux protagonistes. Maintenir une passion dans la cure comme fétiche est une volonté d’ignorer l’emprise captivante de l’Autre maternel. Passage qui se manifeste dans certaines fins de cures, remarque Roland Gori[14] dans Logique des passions. L’hypothèse de Ferenczi sur le traumatisme, concept qu’il a approfondi, est qu’il témoigne de l’inévitable d’une séduction liée à un objet en trop, qui marque de son empreinte quantitative la constitution de l’objet interne.
Ce qui peut protéger contre la transgression, c’est de ne pas rester analyste seul. L’échange entre confrères, dans le contrôle peut permettre de mettre au jour des points aveugles du contre transfert qu’il s’agit de comprendre et de dénouer. Si la lumière ne se fait pas sur un point de fixation resté obscur, le fantasme va être agi à nouveau suivant le principe de répétition, utilisant les ressorts de la pulsion de mort. Ce qui peut protéger, c’est la parole. Mettre en place dans les différentes institutions des lieux de réflexion sur l’éthique, ce « jugement sur notre action » comme le disait Lacan, dans une éthique de la psychanalyse moderne construite pour lui sur un principe issu de l’inhumanité d’Antigone, ne pas céder sur son désir, sur son désir d’analyste. Une éthique de la psychanalyse non au service des biens, non plus au service d’une morale dont l’échantillon est donné par la notion d’oblativité, un  fantasme d’obsessionnel dans un « tout pour l’autre mon semblable, sans reconnaître l’angoisse que l’autre, (avec un grand A), inspire de n’être pas un semblable »[15] ;  mais au service de l’expérience tragique de la vie. Inventer, toujours inventer, pour une psychanalyse en mouvement. L’exigence déontologique et le serment d’Hippocrate que nous avons prêté : « Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans la pureté et le respect des lois », nous pousse à l’inventivité scientifique et institutionnelle. Tache nécessaire, dans laquelle savoir reconnaître les dangers du transfert et les risques du métier, nous permet de continuer à œuvrer avec humilité à une pratique éthique de la psychanalyse.    






[1] Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », in Les Ecrits, Seuil, 1966, p. 586.
[2] Urtubey L.de, Si lanalyste passe à lacte, PUF, 2006.
[3] Freud S., La thérapie analytique, in OCF XIV, PUF 2000, p. 471.
[4] Lacan J., Séminaire livre X, « Langoisse », (1962-1963), Seuil, 2004, p. 70.
[5] Freud S., Leçons dintroduction à la psychanalyse, XXVIII ? G.W.X, p. 407.
[6] Freud, « Observations sur lamour de transfert » in La technique psychanalytique, PUF (1° ed. 1953), 2005 , p. 129.
[7] Freud S., op. cit., p. 130.
[8] Lacan J., « Lanalyste et son deuil » in Séminaire livre VIII, « Le transfert », Seuil, p. 451.
[9] Carotenuto A., Trombetta C., Sabina Spielrein entre Freud et Jung, trad. Michel Guibal et J. Nobécourt, Aubier, 2004.
[10] Lauret M., Les accidents du transfert-de Freud à Lacan, Ed. Champ social, 2006, Victime au lieu même du soin, Journal International de victimologie, tome 6, n°4,2008; Lagir dans la cure analytique, in Passer à lacte, La Clinique lacanienne, Eres, n°23,2013.
[11] Kernberg O., Les voies de la psyché, Paris, Dunod, 1994.
[12] Pommier G., Le dénouement dune analyse, Ed. Champs Flammarion, 1996, p. 217 ;
[13] Pontalis J.B., « Non, deux fois non » in Perdre de vue, Gallimard, 1988.
[14] Gori R., Logique des passions, Ed. Denoël, 2002.
[15] Lacan J., « La direction de la cure », op. cit., p. 615.

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