INTERVENCIÓN JORNADAS DE LA FEP EN TOLEDO (Junio 2013)

LA PASSION DE L'EXTRÊME
Arlette Pellé
Psicoanalista en París

Je voudrais montrer comment cet analysant imprégné du discours de son époque, et psychiquement prisonnier de liens familiaux contribuant à exacerber la jouissance pulsionnelle a voulu devenir un héros des temps modernes. Avant l’analyse, il tente de se séparer de l’aliénation au désir de l’Autre, en ayant recours à un changement de Nom et fera constamment appel à des figures paternelles pour trouver des réponses dans l’espace social, qui l’arrachent de son ancrage familial.
Cet analysant vient rencontrer un analyste au moment où les solutions ingénieuses inventées pour échapper à la castration vacillent. L’angoisse provoquée par un symptôme de forme addictive lui fait franchir le pas, de savoir ce qui ne va pas dans les montages qu’ils supposaient efficaces.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais marquer la différence entre les identifications du héros classique qui se rapportent à l’Idéal du moi et celles du héros moderne qui renvoient au moi idéal.


A l’époque de la morale civilisée, le héros, « Au nom du Père » se plaçait sous le commandement des lois symboliques clairement définies. Ainsi par exemple en 1950 l’exploit de Herzog et Lachenal qui atteignent le sommet de l’Annapurna, s’écrit dans un livre signé seulement par Herzog, Annapurna premier huit mille qui lui donne la notoriété. Le livre vendu à des millions d’exemplaires, fut traduit en douze langues. Herzog devient un héros national.

On y apprend que sur l’arête du sommet, Lachenal son compagnon de route, un grand guide de Chamonix sent que ses pieds gèlent, il ne veut pas perdre ses pieds pour la jeunesse de la France, et dit à Herzog, « mes pieds gèlent, qu’est-ce-que tu fais si je redescends ». Herzog répond qu’il continuera seul. Alors Lachenal le suit jusqu’au sommet et ils laissent chacun comme prévu leurs doigts de pieds ou doigts de main dans l’aventure. L'exploit, hors du commun à cette époque, est ici porté par l’idéal du moi, par l’identification aux insignes du Père.

Dans les carnets du vertige, édités initialement en 1956, Lachenal écrit : « Herzog était complètement allumé, je suis resté avec lui car c’était une affaire de cordée… ; on ne laisse pas tomber l’autre ». Pour un guide couper une corde, c’est un crime absolu. Le dilemme auquel Lachenal est soumis, suivre son compagnon de cordée et risquer la mort ou redescendre, sauver sa peau mais manquer à ses devoirs de guide, le conduit à choisir la position éthique.

La passion a ce point commun avec l’extrême, que le risque de la mort et celui d’y perdre quelque chose, jusqu'à la vie est un enjeu majeur. Pour Herzog, le fantasme se lit clairement, rivaliser avec le plus haut, le sommet, dépasser tous les autres, être le premier à réaliser cet exploit, prêt à perdre dans l’aventure un bout de chair, au nom de la jeunesse de la France, mais aussi pour la gloire, pour le Nom. Ce bout de chair en moins, reste sacrifié marqué sur le corps de ce qu’il a fallu payer pour signer de son nom l'exploit, symbolise ce qu’il y a à perdre pour devenir quelqu’un. C’était il y a plus de soixante ans.

Dans l’époque contemporaine la passion de l’extrême prend une autre tournure. Roland Chemama précise que « Au nom du Père », certaines limites étaient fixées, qui poussaient par exemple à se laisser enseigner par des maîtres plutôt que de risquer sa vie en espontanéo.

L’analysant dont je vais parler rencontre au détour du chemin pris par son existence, le signifiant-maître –terroriste- auquel il s’identifiera voulant devenir un super héros, un superman des temps modernes. Il « ne laisse pas tomber l’autre », non pas pour des raisons éthiques comme Lachenal, mais il se soumet à la demande d’un Autre, se sacrifiant jusqu’à la négation de lui-même comme il le dira, jusqu’au moment où cette place le mènera à la privation de liberté. L’identification au moi idéal et non pas à l’idéal du moi, le mène à se faire le héros d’un rêve incestueux. Ce jeune homme répète sur la scène sociale une soumission librement et gratuitement consentie, là où il subissait les déterminismes des désirs parentaux.

* Quelques repères.

Il eut une relation très proche avec sa mère jusqu’à un âge très avancé, et a oublié la présence de son père jusqu’au moment de l’adolescence où ils partent ensemble dans un pays lointain. Il admire ce père, en brosse la figure d’un personnage cultivé, qui le prend sous sa protection. A cette époque ce jeune homme ne pense qu’à faire plaisir à ce père, réussir, il ne sort pas, n’a pas de petite amie. Ce père gentil, pas autoritaire du tout, lui offre le même type de relation rapprochée qu’il avait avec sa mère jusqu’à l’adolescence. Un amour sans faille des deux côtés se tisse. Il recevra un bagage culturel lié à la passion du père pour la grande Histoire, insérée dans l'histoire familiale qui plus tard avec le travail analytique fera office d’une transmission.

On se trouve au plan de la réalité, dans une situation qui à première vue fonctionne comme de nombreuses familles contemporaines, dans lesquelles une mère couve son fils, de telle façon qu’il reste objet de sa jouissance, le fils essaye de se dépêtrer de cette place, se tourne vers le père qui n'endosse pas sa fonction, au bout du compte un refoulement pulsionnel insuffisant le laisse hors castration.

Dans les deux positions, féminisé, passif, au début de l’âge adulte, ce jeune homme entreprend de contrer cette dynamique familiale qui semble t-il lui laisser peu de chance d'être partie prenante de son existence. Il tente de réorganiser au dehors, dans l’espace social, une scène sur laquelle il pourrait trouver enfin une limite qui borde sa jouissance et réécrit son histoire dans le réel, à son insu il répète les mêmes impasses.

* Les mesures prises pour faire reculer le passé incestueux : la rupture, la renaissance, une nouvelle famille.

Il pallie à la menace d’un inceste psychique, non pas par un délire, ou un symptôme phobique mais par son inscription dans une famille politique dont le nom renvoie à son désir d'indépendance. Il ira chercher dehors la famille qui pourrait l’inscrire dans un ordre symbolique. Pendant une dizaine d'années, il coupe les ponts avec ses parents, pour cause de trop d’amour. Cette rupture est à mettre au compte de sa trop grande dépendance au désir de l’Autre, à ses parents, qu’il s’emploie à éloigner par son intégration dans cette nouvelle famille.

Cette nouvelle famille le cadre d'une certaine façon, ce qui ne lui évite pas de mettre en scène des pratiques extrêmes : escalader la montagne à mains nus, et risquer sa vie sera un de ses sports favoris, mais aussi transporter des produits dangereux, sous le prétexte de la politique dira t-il et surtout pour répondre à la demande de celui qu'il appelle un père spirituel, prêt à lui sacrifier sa vie et sa liberté.

Il ne « laissera jamais tomber l'autre », ce père spirituel, cet Autre est ici un Autre puissant, qui lui donne en retour une place de toute puissance imaginaire, place qui le tire vers une régression identitaire.

La rupture avec sa famille prendra des proportions redoutables. Il posera des actes forts pour se désaffilier et se fera appeler par un autre patronyme, véritable récusation du Nom du père, au sens propre, nom dont il refuse le don, de ne pas avoir pu le prendre comme en parle G.Pommier .

Une figure d’un père diabolique se construit, celui qui lui aurait pris son propre désir, ou l’aurait empêché de devenir un homme, mais aussi bien celle d'un père déchu, comme on dirait « déchéance parentale », figures associées à un vœu de mort clairement exprimé. Aucune inscription de l’événement traumatique, au sens de la représentation du trauma sexuel ne s'écrit dans les chaînes signifiantes, aucune culpabilité, consciente ou inconsciente n'affleure.

Pour être sûr que plus rien de ce passé ne viendra contrarier la vie qu'il s'est choisi, en toute indépendance dit-il, il s’invente un roman familial à l’envers.

« Je me suis inventé des origines prolétaires », alors qu’il vient d’un milieu social cultivé et bourgeois, « je pensais que je n’avais plus de parents, j’avais tué mon père et ma mère, après j’ai trouvé une nouvelle famille, ma famille politique ».

Fort de cette nouvelle identité, il évoquera ce moment comme une re-naissance, et dira « j'étais devenu une deuxième personne, je m'étais auto-enfanté, enfanté moi-même et je ne devais rien à personne ». La rupture avec sa famille est une tentative de rupture de filiation, de rupture avec son passé et avec lui-même. Il fabrique une image inversée de lui-même, un double héroïque et tout puissant, qui l’aide à lutter contre la féminisation par le père. Il renaît avec une masculinité de film, de super héros. « La masculinité c’est la toute puissance, un homme qui peut séduire toutes les femmes et à qui rien n'est interdit », dira t-il. Identifié à ce double, il passe à un acte qui l'a conduit en garde à vue, puis en prison. De ce séjour, il dira « Ça m’est égal d’y retourner ». Quand j’étais en prison j’avais fait quelque chose de mal, qui aurait dû susciter la haine de mon père, il m’envoie un courrier « je te soutiendrai toujours mon fils », vous trouvez que c’est ça un père ? Ces excès reflètent l’attente d’une limite, la punition d’un père, parole qui ne vient pas, ni de son père, ni de celui qu'il appelle son père spirituel, elle viendra de l’espace social. Il risque gros, prêt à donner son corps en gage, pour une dette insolvable, prêt à risquer l'enfermement pour enfin rencontrer un agent interdicteur.

Continuer à avancer dans cet espace le mène au pire, la privation de liberté, a valeur d’équivalant d’une part de l’annulation de la castration et d’autre part de limite à la jouissance pulsionnelle. Tiré en arrière par une régression identitaire, il se cognera aux murs de la prison ou à ceux de son anéantissement.

Ce circuit prendra fin lorsqu’il apprend la grave maladie de sa mère. Il renoue alors avec elle, puis quelques temps après avec son père. Il vient me rencontrer à ce moment, pour un symptôme de forme addictive, qui réveille une angoisse massive qu'il relit immédiatement au décès imminent de sa mère. Il rêve : « Ma mère est malade, je me dis qu’elle est malade de la relation avec moi, elle va mourir de cette maladie », c'est bien sûr lui qui pourrait en mourir.

Son symptôme vient faire coupure dans la jouissance incestueuse maternelle, il est pour lui aussi angoissant qu'a été jouissif le « rapport » avec sa mère. Pour la première fois semble t-il l'angoisse maintenue à l'écart jusqu'alors, l'envahit.

Il est en analyse depuis quelques mois, lorsque son procès va s’ouvrir, il risque à nouveau la prison et déclare que c’est très bien s’il y retourne. Dedans ou dehors c’est pareil. Je lui demande de m'expliquer ça. « Dehors ce qui est horrible ce sont les autres, mon père, ma mère ce qui se répète de ce lien là avec les autres, avec ma petite amie, enfermé j'ai la paix ». Il est là pour faire autrement.

Il parle alors de sa garde à vue précédente ou ses photos d’identité prises à ce moment, le montre avec un visage apaisé et souriant, « C’est vrai quand je revois ces photos, j’avais un air d’extase ». Et il ajoute en séance, « je suis ravi, je vais enfin recevoir mon nom d’Etat, ils vont me le donner au procès, je l’attends depuis si longtemps ».

Interloquée, je lui demande ce qu’il veut dire, par son nom d’Etat : terroriste répond t-il. Au moment de sa garde à vue, on lui avait attribué ce nom, « voilà le terroriste ». Il a alors pensé qu’il allait réclamer à ce procès une accusation à tort. Il veut ce nom, en dépit de ce qui l’innocente, prêt à passer des années en prison pour se faire nommer. Dans la précipitation du moment, je crie son prénom et son patronyme. Ce cri du nom dans le transfert, d’autres interventions, le travail en cours eurent pour effet de le faire renoncer à sa folle entreprise.

Avec ce nom d'Absolu, qui voudrait prendre la place d'un Nom du Père vacillant, la jouissance n'en sera pas pour autant phallicisée et son choix d'enfermement pour la canaliser en témoigne.

G. Pommier souligne dans son livre sur le Nom Propre « Le refoulement des pulsions est fragile, et donc le parricide pas entamé. La prise du nom engendre une forte culpabilité qui amène à renoncer à la mère. Tant que la prise du nom n’est pas symbolisée, le refoulement de la jouissance pulsionnelle est imparfait ». Cet analysant arrêté dans la construction de la fantasmatique oedipienne cherche désespérément à faire suppléance sur la scène sociale au fantasme du meurtre du père, ce nom qu'il réclame, ce nom qu’il veut prendre, nom de l'horreur plus que du héros, nom d'Absolu qui pourrait en épater plus d’un, serait celui qui le sauve de la jouissance incestueuse. Sans parricide fantasmatique, il est ce nom au contraire celui qui le colle à cette jouissance, celui de son anéantissement. Il s’en départira.

L'invention psychique de cet analysant qui a essayé de doubler la pataugeoire pulsionnelle dans laquelle il était prisonnier, en cherchant par tous les moyens à prendre un Nom au prix de la privation de liberté, m’a paru exemplaire. Elle montre qu’un sujet objectivé par le désir de l’Autre, cherche à s’en dépatouiller en faisant appel aux figures paternelles sur la scène sociale. Sa démarche qui s’est avérée inefficace pour sa liberté de sujet, n’en demeure pas moins représentative de ce qui dans le psychisme pousse en avant, vers l’identification au père.

• La reconstruction

Pendant un premier temps d’analyse cet analysant va défaire une à une les fictions qu'il a activées dans le réel, et va déconstruire une identité factice qu'il s'est inventée, pour finalement retrouver un lien avec son passé, qu'il avait mis tant d'acharnement à détruire, à dénier. Il retrouvera ce lien à l'endroit même où il s'est quitté lui-même, au moment de la rupture avec ses parents. Il parle de cette période d’analyse également comme d'une renaissance mais cette fois pas celle d'une autre personne, mais de la sienne. « Maintenant c'est ma toute puissance qui tombe, tous les hommes ne sont pas des brutes musclées qui ont plusieurs femmes et à qui tout est permis».

Il a pu s’identifier à ce que son père lui a transmis pendant l’adolescence, ce père qui a fait entrer par l’Histoire et son engagement politique, l’exogame. Il se remémore des scènes passées et construit une fiction oedipianisée : « quand mes parents se sont séparés et que j’ai pris le parti de ma mère en haïssant mon père, elle a pleuré, déprimé de son départ, c’est qu’elle l’aimait, qu’elle y était attachée, « Quand j’étais petit, je suis entré un jour, et j'ai dit à ma mère « maman, papa a eu un accident, il est mort ». Elle s’est mise à hurler. J’étais tout puissant, maintenant j’ai peur –du rien-, lui qui avait peur de rien, fait l’expérience subjective d’une jouissance limitée. Un sujet émerge.

Le moment de société où nous sommes exacerbe un univers passionnel qui n'est pas centré par la rencontre avec l'autre, mais qui occasionne des tensions, des sensations fortes, des événements qui laissent le sujet à la porte et peut le conduire au pire. Le corps tiré en arrière par la pulsion incestueuse, ne demande pourtant qu'à faire retrouvailles avec la parole et le Nom.

Les lois de l'inconscient sont établies de structure, par l'ordre du langage et du Nom, par la pulsion et les fantasmes, ces lois ne sont pas modifiées par les mutations sociales et familiales, qui si elles changent le rapport à la subjectivité et entraînent des modifications de la présentation du symptôme, ces lois restent inchangées et conditionnent l'appel du sujet aux figures paternelles, qui arrachent du pulsionnel-passionnel de l’extrême.



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