Ou: comment interroger la perversion au féminin?
HERVÉ BENTATA
Introduction.
"A Sainte Mère, fils pervers". J'ai beaucoup
recherchéla référence de cette citation de Lacan, je
ne l'ai pas trouvée. Pourtant, je
me souvenais de l'avoir entendue citée dans les années 70 par Lucien Israël dans son séminaire àStrasbourg. Mais, ce que j'ai retrouvépeut déjànous poser question. En effet, les
psychanalystes en général évoquent cette formule en disant
qu'elle est fréquemment utilisée par Lacan, mais sans donner aucune référence précise . Or la seule référence que vous pouvez trouver, et qui
est d'ailleurs celle que j'ai dûentendre au séminaire d’Israël, est la suivante : "A sainte femme, fils
pervers". Lacan l'évoque dans la séance du 13 novembre 1968
de son séminaire D'un
Autre àl'autre.
Ce lapsus d'écoute reste donc àinterpréter, au-delàde l'évidence qu'il paraît
plus commode pour un névrosébanal d'envisager une Sainte Mère qu'une sainte femme. Et c'est ce
qui gît au tréfonds de ce lapsus et de cette formule
que je me propose de déplier aujourd'hui àpartir de fragments cliniques de cure avec deux jeunes adultes ainsi qu'àpartir d'une situation rencontrée dans ma clinique avec des mères et de très jeunes enfants. Une telle clinique permet d'envisager statu
nascendi ce qu'il en est du lien mère enfants et de ses avatars possibles que ce soit vers
la psychose, la perversion ou simplement vers la névrose.
Et, chemin faisant se posera la question de la perversion au féminin au travers de la question de l'abus maternel et des différentes formes qu'il prend.
"A sainte
femme, fils pervers"
Mais tout d'abord
reprenons le texte lacanien dans l'occurrence unique que j'ai retrouvée, celle de la sainte femme et de son
fils pervers.
La séance du 13 novembre 68 constitue une séance très importante que Lacan consacre àla question de la production de l'objet a et celle de la Véritédu Sujet. Il en repasse par le pari de Pascal pour dire qu'il n'y a pas de garantie dans l'Autre, que cette Véritéle sujet la trouve dans son "a" : "Moi, la Vérité, je parle et je suis pure articulation émise pour votre embarras"...
La séance du 13 novembre 68 constitue une séance très importante que Lacan consacre àla question de la production de l'objet a et celle de la Véritédu Sujet. Il en repasse par le pari de Pascal pour dire qu'il n'y a pas de garantie dans l'Autre, que cette Véritéle sujet la trouve dans son "a" : "Moi, la Vérité, je parle et je suis pure articulation émise pour votre embarras"...
Or de cette vie
heureuse qu'évoque Pascal, il
en voit l'incarnation dans cette fonction du "plus de jouir".
Il poursuit:
"Et, aussi
bien, nous n'avons pas besoin de parier sur l'au-delàpour savoir ce qu'il en vaut làoùle plus de jouir a un nom, se dévoile sous une forme nue ; ceci s'appelle
la perversion."
"Et c'est bien pour cela qu'àsainte femme, fils pervers."
"Et c'est bien pour cela qu'àsainte femme, fils pervers."
"Nul besoin
de l'au-delàpour voir ce qui
se passe dans la transmission de l'une àl'autre d'un jeu de discours essentiel :
S / ◊(S/ ◊(S/ ◊a)... "
a
Voici donc dans
quel contexte apparaît la sainte mère et son fils
pervers, dans leur articulation du sujet àl'autre, dans "la transmission de l'une àl'autre d'un jeu de discours
essentiel". Dans cette articulation du sujet àl'autre apparaît la formule du fantasme où$ ¤a, où$ se poinçonne du a.
Pour ce fils
pervers, l'accent dans la formule du fantasme est mis sur le "a", sur
son incarnation, au point de lui donner consistance ; le sujet
pervers vient àse faire l'objet
de l'Autre, de la "sainte femme".
Voilàdonc ce qu'il faut entendre par cette
formule, àsavoir que cette
femme n'est pas –en tant que
sainte, divisée par le sexuel.
Sa jouissance est assurée par son fils qui est son phallus.
Ainsi, comme le
dit Didier MION, "si la mère ne désire pas ailleurs qu’en son fils l’identification perverse se
structure... Et, cette
structure perverse qui n’inscrit pas le père dans le registre de la rivalitéphallique est àl’origine de deux éléments symptomatiques, le défi et la transgression[1]".
C'est souvent par
ces deux éléments particuliers dans les histoires
cliniques que l'on est amenéàévoquer
la structure perverse d'un sujet. Au cœur de cette structure se trouve la
"Verleugnung", le déni de la castration. Ce déni particulier àforme de désaveu peut se dire dans cette formule
"Je sais bien, mais quand même". Le pervers sait que la femme n'a pas le
phallus, mais quand même, il fait en sorte que cela apparaisse comme tel. Dans l'excellent livre
collectif "Le désir et la perversion[2]", il apparaît aussi ce fait qu'àpartir de cette position de désaveu, le pervers va être amener àsoutenir un discours qui se veut dire
le vrai, notamment sur l'amour.
On voit donc que,
pour la subjectivation d'un sujet comme pour son mode de subjectivation, sa
rencontre avec l'autre dans le champ du
désir, va être déterminante. Cette rencontre du sexuel maternel, ces
sortes d'abus sexuels maternels que j'ai évoqués, vont cependant pouvoir revêtir des formes différentes. Ils auront, de ce fait, des
conséquences elles-mêmes variables pour chaque infans.
Voici donc
maintenant trois fragments cliniques d'analyse àmême de
faire travailler notre question.
Trois fragments
cliniques.
1.
Un jeune homme associe àpropos d'un deuil survenu dans la famille de sa compagne ; il se retrouve lui-même plongédans ce moment
tournant de sa vie oùil a appris avec sa
mère, le décès de sa grand'mère maternelle. Avant ce moment, il avait vécu une sorte de roman d'amour avec sa mère, partageant par exemple ses voyages, le père étant souvent retenu
pour ses affaires. Mais àl'annonce de cette
nouvelle, le désarroi
maternel le plonge dans l'angoisse,
celle d'avoir àsoutenir une femme
qui défaille. Mais ce qui le marque de cette
scène, c'est que sa mère dans ce moment de
vacillement ne se tourne alors pas vers lui, qui était pourtant son chéri, son "phallus"; elle se tourne vers son père, pour une fois présent et heureusement. Ensemble ils se retirent dans leur
chambre... Et là, le souvenir de
mon analysant s'obscurcit.
Voilàbien ce qui a étédéterminant pour ce jeune homme àl'époque : c'est le père qui vectorisait le désir maternel àla différence de ce que ce garçon se plaisait àcroire et que la mère ne démentait pas. Après cet événement, il se sentit dès lors libre de son désir et de son chemin, vers d'autres cieux et d'autres amours... Il éprouvait toutefois une certaine rancune àl'égard de cette mère qui l'avait en quelque sorte joué, floué.
Pour lui, C'est
en quelque sorte le chemin névrotique qui s'ouvraitàcette occasion, malgrél'abus maternel et cela grâce àl'effet d'un événement extérieur traumatique et de vérité. Cette scène pourrait se rapprocher d'une part
de ce que nous dit Lacan sur le temps logique : l'instant de
voir, le temps pour comprendre et le temps de conclure. En tout cas, pour cet
analysant, ce troisième temps, c'est son soulagement, sa libertéretrouvée, sa sortie définitive de l'impasse dans laquelle il
était englué ; et cela par un
défaut de
savoir. Ce tournant peut avoir lieu par
l'expérience de repérer sa mère comme endeuillée manquante (S(A/) et n'incarnant pas
le phallus (en lui).
2.
Le deuxième fragment ramène aussi une scène, mais cette fois de honte pour cet autre jeune homme. Il
attend sa mère àl'heure des mamans, àla sortie de l'école. Elle est jeune et belle ; il est impatient de sa venue, mais elle vient le chercher
en moto. Et ils chevauchent ainsi ensemble elle devant, lui derrière. Il a honte d'une mère pas comme celle des autres, qui ne fait pas àmanger, c'est la bonne qui s'occupe de l'intendance. Elle
ne s'occupe pas non plus des enfants, des devoirs ; elle travaille et gagne parfois seule vie de la famille,
car le père s'avère làaussi lointain et défaillant.
Il va d'excès en excès ; de réussites
professionnelles àdes faillites retentissantes. Cette femme compte beaucoup
sur son fils ainé ; qu'il ne suive
pas le chemin de son père, mais celui de
son frère àelle, universitaire ; qu'il épouse un beau parti.
Mais en même temps, cette
femme le récuse comme fils ; elle dit aux personnes de rencontre, souvent, qu'il n'est
pas son fils mais son jeune frère. Façon de rester inentamée, femme et non mère... Toujours, jeune,
belle, phallique. Il s'en suivra pour notre analysant de longues périodes de tourments et des difficultés récurrentes pour le
choix d'un partenaire sexuel et surtout pour l’établissement d'une relation qui puisse tenir, ne pas le
faire fuir dès qu'il perçoit le désir de l'autre. Sa
vie est faite de défis professionnels
mais aussi amoureux ; faire en sorte
que ce qui n'est pas le soit, ou puisse apparaître comme tel. Au moins s'en donner l'illusion. D'oùde cuisantes désillusions qui le plongent dans l'angoisse et la dépression.
Se retrouvent bien làles éléments de notre : "àsainte femme, fils pervers"... Et l'on voit bien que ce qui est en jeu, n'est peut-être pas tant la saintetéau sens christique, que le refus d'une femme de l'entame que constitue pour elle le fait d'être mère et liée àun homme qui l'a fait mère. Notre analysant se retrouve en place d'être le phallus maternel mais de sa mère en tant que femme, d'une femme refusant donc la castration qui a fait qu'elle devienne mère, àsavoir d'être orientée par le désir de son homme.
3.
Le troisième fragment
part d'une image sidérante, celle d'un enfant de deux ans et demi figédebout dans une attitude catatonique qui dura plusieurs
minutes, sans pouvoir bouger entre sa mère et un objet tiers, une balle en l’occurrence.Sa mère était venue consultée car son enfant ne mangeait que du "blanc", des
laitages donc. Cela rendait ainsi tout éloignement d'elle impossible. Mais elle s'inquiétait aussi du fait qu'elle était enceinte et qu'elle ne voyait pas comment elle
arriverait àfaire pour se
partager avec le nouveau venu. Plus exactement, elle s'inquiétait de la souffrance de son enfant, qu'elle ne puisse plus être pour lui totalement.Cette aspiration maternelle
permanente rendait l'enfant craintif, mais pas autant que la mère qui envisageait le pire dès que l'enfant quittait son giron : elle ne pouvait supporter l'idée de perdre son enfant. Il était devenu sa seule raison de vivre ; certes son mari était un homme gentil et qu'elle avait choisi par amour. C'était donc une famille heureuse quoique leur mariage n'avait
pas étéapprouvénotamment par son père àelle. Elle qui
avait fait des études d'homme, de géomètre et qui se
trouvait pouvoir reprendre le cabinet de son père. Mais là, elle se trouvait éloignéde son pays natal
car le chômage de son mari nécessitait qu'ils s'exilent.
Elle
avait acceptél'exil pour lui et
se retrouvait donc àla maison non
seulement pour élever son enfant
mais ayant perdu son travail qui la valorisait tant. On lui disait, son mari en
premier, que son attitude avec son enfant était délétère, mais c’était plus que plus fort qu’elle : incoercible !
Voici donc un jeune enfant dont les difficultés de langage, son mode de parole et de rapport àl'autre, marquépar la fragmentation, peuvent faire craindre une évolution psychotique. Alors cette situation d'abus maternel traduit-elle chez cette femme une dimension perverse ? Cette conduite maternelle relève-t-elle de la perversion ?
Notes àJenny Aubry,
versus "A sainte femme, fils pervers".
En fait, la
clinique de ce couple mère enfant m'a d'abord renvoyéaux notes de Lacan
àJenny Aubry[3]. Ces notes
gardent aujourd'hui encore toute leur portée
pour permettre àun analyste de s'orienter concernant le "symptôme de l'enfant". Lacan le définit "comme le représentant de la vérité[4]" et
"en place de répondre àce qu'il y a de
symptomatique dans la structure familiale".
Il poursuit en évoquant plusieurs possibilités. D'abord nous dit-il, "Le symptôme peut représenter la véritédu couple familial, c'est le cas le
plus complexe et aussi le plus ouvert ànos interventions." Et nous voyons bien làque la situation de notre premier
analysant paraît làêtre prise dans ce
cas de figure, qui en vient àse situer du côtéde la névrose dans le
PerNéPsy.
Mais Lacan évoque ensuite d’autres cas où, je cite, "l'articulation se réduit de beaucoup quand le symptôme qui vient àdominer, ressortit àla subjectivitéde la mère." Alors :
"la distance entre l'identification àl'Idéal du moi et la part prise du désir de la mère, si elle n'a pas de médiation ...laisse l'enfant ouvert àtoutes les prises fantasmatiques, il devient l'objet de la mère... Il devient l’« objet »de la mère, et n’a plus de fonction que de révéler la véritéde cet objet.
"la distance entre l'identification àl'Idéal du moi et la part prise du désir de la mère, si elle n'a pas de médiation ...laisse l'enfant ouvert àtoutes les prises fantasmatiques, il devient l'objet de la mère... Il devient l’« objet »de la mère, et n’a plus de fonction que de révéler la véritéde cet objet.
L’enfant réalise la présence de ce que Jacques Lacan désigne comme l’objet a dans le fantasme. Il sature,
en se substituant àcet objet, le mode de manque oùse spécifie le désir (de la mère), quelle qu’en soit la structure spéciale : névrotique, perverse ou
psychotique".
Il poursuit : "le symptôme somatique donne le maximum de garantie àcette méconnaissance ; il est la ressource intarissable selon les cas àtémoigner de la culpabilité, àservir de fétiche, àincarner un primordial refus."
Il poursuit : "le symptôme somatique donne le maximum de garantie àcette méconnaissance ; il est la ressource intarissable selon les cas àtémoigner de la culpabilité, àservir de fétiche, àincarner un primordial refus."
Voilàdonc bien la situation dans laquelle
se trouve àl'évidence notre troisième enfant. D'après ce qu'on en entend, quand l'enfant
devient "l'objet de la mère" et qu'il est ainsi "ouvert àtoutes les prises
fantasmatiques", son devenir apparaît dans le champ de la psychose. Cependant Lacan s'y
reprend àdeux fois pour
nous dire que, pour autant, cela n'implique rien sur la structure maternelle
qui peutêtre celle de la névrose, de la psychose ou de la
perversion.
Mais, ày regarder de plus près, ce deuxième cas de figure "quand le symptôme qui vient àdominer, ressortit àla subjectivitéde la mère" ne peut-il pas aussi
concerner notre deuxième fragment clinique ? Et nous voici donc au cœur de notre sujet, "A sainte
femme, fils pervers".
Nous pouvons le
formuler ainsi àpartir des éléments que nous apporte Lacan : quand le symptôme qui vient àdominer ressortit àla subjectivitéde la mère, si elle n'a pas de médiation, celle qu'assure
habituellement le père,
alors l'enfant devient l'objet a de la mère. Et il va se situer dans le champ de la perversion quand sa mère se positionne en "sainte femme", c'est-à-dire quand le déni porte sur la position du père comme phallus àmême de faire jouir la mère. C'est autre chose, me semble-t-il, que la forclusion du nom du père, àsavoir le refus primordial d'une filiation qui passe par le père.
alors l'enfant devient l'objet a de la mère. Et il va se situer dans le champ de la perversion quand sa mère se positionne en "sainte femme", c'est-à-dire quand le déni porte sur la position du père comme phallus àmême de faire jouir la mère. C'est autre chose, me semble-t-il, que la forclusion du nom du père, àsavoir le refus primordial d'une filiation qui passe par le père.
Voilàainsi ce que je souhaitais dire
aujourd'hui sur cette forme particulière d'abus maternel, et pour vous rappeler, pour parodier
une publicitéfrançaise contre la consommation d'alcool
excessive, que :
"l'abus de mère peut être dangereux
pour la santé... des enfants"
Je vous remercie
Paris,
8 mai 2015.
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